Plus audacieux que jamais, le réalisateur de Ricky, François Ozon, s’affichemi-ange, mi-démon…

Avec son conte moderne sur l’enfant extraordinaire d’un couple ordinaire, Ozon fait fort, et emporte une fois de plus l’adhésion. Toujours ludique et sérieux à la fois, le réalisateur de Huit femmes commente avec l’esprit qu’on lui connaît ce qui est sans doute le plus osé de ses longs métrages…

Une fois de plus, vous choisissez comme inspiration une £uvre littéraire britannique, en l’occurrence un texte de Rose Tremain…

J’aime beaucoup la littérature anglaise, en partie parce qu’au contraire de la littérature française, elle est très narrative. Il y a un art du récit, un don pour raconter des histoires, alors qu’en France on est plus dans l’analyse des sentiments, dans les descriptions, dans les digressions. Il est logique, dès lors, que la littérature anglo-saxonne soit une meilleure source pour des films. La nouvelle de Rose Tremain dont est tiré Ricky fait huit pages et s’appelle Moth ( Léger comme l’air dans l’édition française). Quand je l’ai lue, je l’ai adorée pour ses côtés très visuels. Mais en même temps je me suis dit que cela n’avait rien à voir avec mon univers… C’était à mes yeux un sujet à amener chez Walt Disney pour l’aspect merveilleux, ou chez les frères Dardenne pour le côté réaliste, social. Heureusement, j’ai gardé l’idée pour moi, et peu à peu ma peur de l’élément fantastique s’est apaisée. Dans la nouvelle, le bébé a directement de grandes ailes. Dans mon film, elles apparaissent peu à peu. Parce que ce qui m’intéresse, au fond, c’est la famille, et comment un personnage au sein de cette famille peut en perturber l’ordre.

Il y avait déjà une métamorphose dans Sitcom

Oui, en effet! Le père se transformait en rat. Mais c’était ludique, c’était du John Waters plus qu’autre chose! Pour Ricky, au contraire, il fallait que cela soit très réaliste, organique. J’ai donc pris des renseignements auprès de scientifiques, de vétérinaires, pour savoir comment se développent des ailes d’oiseau.

Vous faisiez allusion aux frères Dardenne, et le long plan inaugural de Ricky, où la mère jouée par Alexandra Lamy s’explique au service social, évoque directement leur cinéma…

Oui, c’est délibéré! C’est aussi bien sûr une fausse piste! J’aime lancer des fausses pistes, amener le spectateur à croire qu’il peut prévoir ce que sera la suite… et puis le surprendre d’autant mieux!

Les thèmes de la maternité ( Regarde la mer) et de la paternité ( Le Temps qui reste) avaient déjà marqué votre filmographie…

(rire) Ça doit en effet me travailler quelque part! L’instinct maternel est certainement quelque chose qui me touche et m’intéresse. Le lien d’une femme et de son enfant est en fait riche de potentiel cinématographique. C’est un lien changeant, qui peut être d’amour ou de rejet. Et puis quelle est la place du père et de son propre lien à la femme, à l’enfant? Tout cela me travaille de film en film… Et puis il y a quelque chose de l’ordre de la transmission qui m’intéresse aussi beaucoup.

Beaucoup de réalisateurs craignent de travailler avec des enfants, qui plus est des bébés. Pas vous?

Au contraire! J’adore ça! Déjà que moi-même, je me sens retrouver un état d’enfance quand je tourne un film… On joue; on joue à se faire peur, à s’aimer… Avec Mélusine, la petite fille (la s£ur aînée de Ricky, ndlr), le travail fut très facile car c’est une jeune actrice très douée. Avec elle, j’ai trouvé une interprète capable de me donner ce que le gamin du Sixième sens avait pu donner à Shyamalan… Avec les bébés, cela s’est très bien passé aussi, à partir du moment où j’ai compris, au casting, que je faisais non seulement un casting d’enfants mais aussi de parents (rire). Ceux qui tremblaient déjà dès que je prenais leur bébé dans les bras n’allaient pas convenir, vu ce qu’on allait faire à leur rejeton dans le film! Une fois Arthur sélectionné, il a suffi d’apprendre ses horaires (biberons, siestes, etc.) et de les respecter pour le travail.

Comme tous les bons contes, Ricky est un conte cruel…

En effet, il y a toujours de la noirceur dans les contes qui nous parlent. Lisez Le Petit Poucet: c’est absolument monstrueux! Et puis comment parler de la différence sans aborder la douleur, le soupçon, le rejet, l’exploitation?

Le bébé ailé du film a-t-il une dimension symbolique?

Je laisse le spectateur juge. Mais il est évident que Ricky est un symptôme, le symptôme de cette famille recomposée. Et s’il a des plumes, n’est-ce pas parce que son papa (Sergi Lopez, ndlr) a pour sa part plein de poils (rire)?

Voir la critique de Rickyen page 29.

Entretien Louis Danvers

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