ADAPTANT UNE PIÈCE DE JUAN MAYORGA, LE RÉALISATEUR FRANÇAIS SIGNE UN FILM FOISONNANT, ASPIRANT LE SPECTATEUR DANS LE JEU TROUBLE QUI UNIT UN PROFESSEUR ET SON ÉLÈVE. ET BRASSANT, L’AIR DE RIEN, DES THÉMATIQUES MULTIPLES…

Entre le Festival de Namur et François Ozon, c’est déjà une vieille histoire, entamée il y a tout juste quinze ans avec Regarde la mer, et balisée ensuite de visites à répétition. La première, c’était pour Sitcom, en 1998, et l’on jurerait que c’était hier, tant le réalisateur français a gardé les traits d’un éternel jeune homme, qu’il assortit d’un large sourire, alors qu’on le retrouve dans le foyer du théâtre de la ville pour parler de Dans la maison – les pralines, elles, sont en option.

Pour ce nouveau film, son treizième long métrage, Ozon s’est inspiré d’une pièce de l’auteur espagnol Juan Mayorga, Le garçon du dernier rang, l’histoire du rapport s’installant entre Germain, un professeur désenchanté, et Claude, un élève brillant; et une £uvre dont il a modifié le titre afin d’en élargir la perspective. « Ce que j’ai aimé dans la pièce, c’est l’aspect ludique, joyeux et léger par lequel étaient abordés des thèmes finalement assez complexes, assez théoriques, commence-t-il, matrice que l’on pourrait d’ailleurs appliquer à une partie de sa filmographie. C’était très incarné, et je me suis demandé si le dispositif qui fonctionnait au théâtre pourrait fonctionner au cinéma. Le défi, c’était d’essayer de créer cette équivalence. » Pari réussi, si l’on considère l’aisance avec laquelle le film glisse d’un genre et d’une humeur à l’autre, tout en enchâssant ses thématiques multiples dans un mouvement fluide. « Ce qui m’a donné la clé, c’est l’idée du plaisir, poursuit-il, mais aussi de me considérer moi-même comme Claude, donc Shéhérazade: le spectateur est le sultan, et si je l’ennuie, on me coupe la tête… »

La formule traduit joliment l’élan qui sous-tend un film qui ne se dévoile que progressivement, à l’instar de la drôle de fiction que va imaginer Claude, encouragé par un professeur peu regardant quant aux méthodes pour parvenir à ses fins créatives. Acide, l’entreprise est également trouble, en effet, qui voit l’adolescent s’immiscer dans une famille normale, celle de l’un de ses condisciples, dont il va ausculter les faits et gestes, avec un mélange d’ironie féroce et de fascination. Partant, on retrouve là l’un des motifs familiers de la maison Ozon, cette famille qu’il s’est employé à décorseter, de Sitcom en Potiche. Avec toutefois un changement sensible: là où le réalisateur s’employait auparavant à faire craquer le vernis, les « Rapha », comme les baptise Claude, vont, pour leur part, faire front: « La cellule familiale, on y est tous confrontés. Elle est pour moi le lieu de relations assez fascinantes, ambiguës, intenses, névrotiques, c’est une source de fiction incroyable. Mais les choses évoluent avec le temps, le regard change. Cette famille se suffit à elle-même, et présente une espèce de cohésion -ce qui m’intéressait, c’est qu’il y avait là l’idée de l’exclusion, de quelqu’un qui n’arrive pas à la pénétrer et à trouver sa place à l’intérieur. »

Voyeur assumé, Claude va aspirer à sa suite son professeur, mais encore le spectateur, qu’il invite dans le quotidien de cette famille, quelconque jusqu’à la caricature -le père, ses soucis de boulot et sa fascination pour la Chine; la mère, tuant son ennui en compulsant des magazines de décoration; leur fils, effacé. Un tel océan de banalité qu’on pourrait y voir à loisir un miroir déformant de la téléréalité. « C’est juste un état de fait, insiste Ozon. Le film fait écho à la société d’aujourd’hui, cette fascination que l’on a tous pour ces shows de téléréalité. Et même les séries auxquelles on est accro, et qui fonctionnent suivant le même principe, avec un cliffhanger à la fin. Mais ce n’est pas une critique: je suis le premier à regarder, le premier fasciné par la banalité et la normalité. Je m’intéresse à la façon dont c’est raconté et filmé, et à la manière dont on peut rendre accro. Et quand on commence à rentrer là-dedans, on devient accro: on a un certain mépris, mais en même temps se crée une sorte de fascination sur la banalité et sur la bêtise. (…) Je pose bien sûr la question du voyeurisme, mais tout le monde regarde chez son voisin ce qui se passe. »

Un film interactif

Une autre ligne de force du film réside dans sa mise en abîme du processus créatif même. Ludique, la réflexion qui en découle n’en est pas moins riche pour autant, qui embrasse aussi bien les ressorts de la fiction que les rapports entre élève et mentor. De quoi, en tout état de cause, inviter le réalisateur à un bref flash-back: « Je n’ai jamais eu de rapport aussi fort, mais certains professeurs ont été très importants pour moi. Je pense n’être devenu un bon élève que quand j’ai commencé à étudier le cinéma, c’était ma place, ce que je voulais faire. A ce moment-là, j’ai eu de l’admiration, alors qu’avant, j’étais plutôt en révolte contre l’autorité et les professeurs. Quand j’étais en fac, des profs comme Eric Rohmer, Jean Douchet ou Joseph Morder ont été très importants pour moi, sans s’en rendre compte vraiment. Rohmer n’a su que bien plus tard que j’avais été l’un de ses élèves. Il allait voir mes films, m’envoyait des petits mots, il était content que j’aie travaillé avec certains de ses acteurs, comme Melvil Poupaud ou Marie Rivière. Il y a eu un échange, un peu, mais très léger. Mais ses cours ont été fort importants. »

Quant au questionnement sur la création, il n’est pas neuf chez Ozon, qui l’avait déjà abordé à travers les romancières de Swimming Pool et Angel: « Passer par la littérature est plus facile, parce qu’il y a plus de distance. »Dans la maison l’enrichit, au fil de manipulations successives, d’une exploration des limites entre réalité et fiction, laissant cette dernière se déployer en un infini de possibles -postulat à prendre pratiquement à la lettre, pour le coup. « D’une certaine manière, c’est un film interactif », sourit un réalisateur qui souligne n’être pas « dans le contrôle à tout prix ». « Lorsque j’ai vu la pièce, j’ai senti qu’il y avait la possibilité de créer une espèce de tension et que, petit à petit, le spectateur, au c£ur de la fiction, fasse lui-même son film. En discutant avec le public, je me rends compte qu’il y a des gens qui s’attendent à une fin en carnage à la Haneke, ou à d’autres choses encore. Et je me dis que j’ai réussi mon coup, parce que les gens se sont appropriés l’histoire. » Bienvenue à la maison…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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