FORTEMENT INFLUENCÉS PAR LE CINÉMA, LES TRAILER TRASH TRACYS FLIRTENT AVEC L’UNIVERS TORDU, FLIPPANT ET TRIPPANT DE DAVID LYNCH. ENTRE DOUX CAUCHEMAR ET RÊVE GLACÉ.

Elle est punk, suédoise, ennuyée par Göteborg et installée depuis presque 10 ans à Londres. Il est matheux, d’origine italienne et indienne, possède un look de Navajo et un penchant pour tout ce qui est spirituel. Tandem atypique, Susanne Aztoria et Jimmy Lee sont aujourd’hui à la tête des Trailer Trash Tracys. Les 4 nouveaux poulains d’une écurie, Domino, qui a l’habitude de miser sur les bons chevaux (Franz Ferdinand, Arctic Monkeys, The Kills).

Aztoria et Lee ont commencé à faire de la musique ensemble il y a 5 ans dans un groupe à la Blondie, Switchblade Sadie, emmené par un crétin égocentrique.  » S’il avait pu chanter lui-même, il ne se serait pas gêné, expliquent-ils d’une seule voix au bar de l’Ancienne Belgique. Nous n’avions rien ou presque à dire sur le plan créatif. On lui donnait juste un coup de main. Il est en Californie aujourd’hui. Il bosse dans les ordinateurs. En même temps, on ne va pas se plaindre. Il nous a permis de nous rencontrer. »

Si les Trailer Trash Tracys ont été un des « new bands of the day » du Guardian (ces groupes que recommande chaque jour le meilleur quotidien d’Europe et peut-être bien du monde) en août 2009, ils ne devraient pas rester coincés au rang d’éternel outsiders incapables de dépasser l’encombrant statut de next big thing.  » Ça peut sembler une éternité mais, à l’époque, nous ne savions pas trop ce que nous faisions. Nous avions surtout besoin de temps pour accoucher d’un disque dont nous serions pleinement satisfaits. »

Ce disque, il s’appelle Ester (lire critique page 35), du nom d’un court métrage suédois filmé sous l’eau. Il a été profondément marqué par la pop noisy, le shoegaze, le cinéma de Melville, de Cassavetes… De Lynch, aussi, surtout.  » Si je devais monter un groupe avec ces 2 derniers, John serait le chanteur et David le guitariste« , image Lee. Susanne et Jimmy, 26 et 27 ans (ou bien est-ce le contraire?), sont d’une génération ébranlée par Lost Highway et la série Twin Peaks. Cocktail de peur, de mystère et de rock’n’roll. Face sombre de l’Amérique, du rêve hollywoodien…  » La basse minimale, lente, profonde et organique était une décision conceptuelle. On a essayé de la faire trembler. Et quand on a remarqué qu’elle sonnait comme du Badalamenti dans Twin Peaks , on s’est dit que personne ne s’en rendrait compte. »

Lynch dit ne comprendre ses films qu’une fois terminés. Parfois même longtemps après.  » Il en va un peu de même pour nous avec notre musique, avance Susanne. En tout cas, le résultat est souvent bien éloigné de nos intentions initiales. »

 » Quand nous avons commencé à composer, nous étions très pragmatiques, enchaîne son comparse. Nous calculions tout ce que nous faisions. Mais au fil des morceaux, nous avons pu davantage laisser les choses s’échapper. Nous aurions pu faire un disque entier de Candy Girl (leur premier single, ndlr ). Mais on a justement essayé de s’en écarter. De jouer avec le phrasé, avec les structures. Nous n’avons qu’un cadre. La sensibilité pop des mélodies. C’est un langage universel. »

Plaisirs durables

Lorsqu’on lui demande qui écrit les meilleures chansons de nos jours, Jimmy Lee rétorque:  » Nous« . Franchise, humour, provocation, arrogance?  » Je le pense… Dans le sens classique du terme. Toute la musique aujourd’hui est tellement compressée… Garder une mélodie fraîche dans une chanson est une chose très compliquée. »

Pour ce faire, leurs mélodies, les Trailer Trash Tracys les triturent, les enfouissent sous les bizarreries, les nappes froides et éthérées… Conscients que l’esthétique est primordiale. Que les plaisirs les moins évidents sont aussi les plus durables.  » La dramatisation et l’hyper sensibilisation dans la musique sonnent faux à crever. Quand tu tombes, forcément par hasard, sur une ballade d’Aerosmith, tu entends tout de suite que Steven Tyler cherche juste à tirer sur la corde sentimentale et lacrymale. Ce n’est pas du tout notre truc. Un mec comme Burt Bacharach par contre avait un vrai don pour structurer ses morceaux. »

Tandis que la voix de Susanne Aztoria rappelle celle de Julee Cruise (rien à voir avec Tom, juste la chanteuse du thème de Twin Peaks), Jimmy Lee, qui reconnaît un faible pour les écrits de William Blake, d’Owen Pallett (Final Fantasy), de Lou Reed, devient presque intarissable quand on le lance sur le terrain de la méditation que chérit Lynch, le maître zen…

 » En ce qui me concerne, il y a un truc méditatif qui entre dans la conception de la musique. David Lynch est dans la méditation transcendantale. J’ai eu l’occasion de regarder un documentaire sur le sujet. J’ai moi-même essayé la chose pendant un an dans un centre à Londres. C’était un peu flippant. Une espèce de culte. Les mecs étaient bizarres. C’était de la récupération occidentale. Une bande de criminels qui avaient été en prison, trouvé un bouquin et ouvert ce drôle de bazar pour se faire du fric. » Jimmy n’est pas du tout religieux. Il s’intéresse juste au monde spirituel.  » Je ne sais pas ce que Lynch fait vraiment de tout ça. Mais je comprends le bénéfice de la méditation sur la création. L’esprit consomme beaucoup d’énergie. Il te fatigue. Te ramollit. En même temps, c’est bien d’être en rogne. C’est un moteur, une source de motivation. L’idée des énergies positives et négatives est très new age… J’ai lu énormément de choses, dont beaucoup de conneries, sur le sujet mais cela a sans doute eu un impact sur notre musique. » l

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