UNE VERSION MÉGA-LUXE IMMERSION DE THE DARK SIDE OF THE MOON PLUS UNE INTÉGRALE DISCOVERY DES 14 ALBUMS DU GROUPE: EMI DÉCLENCHE UNE LARGE RÉÉDITION PLANIFIÉE JUSQU’AU PRINTEMPS. DÉCRYPTAGE D’UN MARKETING BARNUM ET D’UNE TRIOMPHALE ODYSSÉE MUSICALE…

L’enthousiasme de Bert, attaché de presse d’EMI-Belgique, fait presque peur. Voilà un garçon jeune (30 ans?) qui -pardonnez l’expression humide- en pisserait de contentement. Il n’en revient pas, il est prêt à décrocher les anges, faire bouillir la sono, lustrer les amplis à lampes, décorer son salon d’un cochon géant (1): le Dark Side Of The Moon et le Discovery sont là, à portée d’écoute, de toucher, de parfum tactile. Plus prosaïquement, on se demande d’emblée si cette armada de pinkfloyderies lâchées sur le marché à des prix cossus -169 euros pour l’intégrale, une centaine d’autres pour le Dark Side- n’est pas juste une énième offensive de musiciens richissimes, soucieux du grignotage de leurs hedge funds mis à mal par l’époque. A titre d’exemple, la fortune d’un Roger Waters cible les 105 millions de livres sterling. Tout cela aurait été impossible si la dispute juridique avec la maison mère EMI -qui signe le Floyd en 1967…- n’avait été résolue en janvier 2011 après 10 mois de procédure devant les tribunaux anglais et des années de tension autour de l’utilisation du back catalogue floydien, 200 millions d’albums écoulés, le plus rentable après celui des Beatles… Contre toute attente, le Floyd accepte de voir ses chansons vendues individuellement sur le Net et non pas exclusivement en albums complets. Depuis The Wall paru fin 1979, le quatuor anglais ne fait plus l’événement critique mais reste immensément populaire. Ses paradigmes se sont profondément insérés dans le conscient rock et son double fantasmé: le groupe sorti de l’underground chic au tout début des seventies a inventé une façon de « planer en stéréo », modulant ses décollages astropop dans un confort sonore inédit pour l’époque.

Sa Majesté Hi-Fi

Quand paraît, en mars 1973, The Dark Side Of The Moon, huitième album du groupe, la Grande-Bretagne est sous gouvernement du conservateur Edward Heath. Si les années 60 mettent l’Angleterre pop sur la cartographie mondiale, dans les faits, il s’agit encore d’un vieux pays blessé, en peine de modernisation, choqué par les troubles politiques en Ulster. Dans ce glacis socio-économique, la contemporanéité du Floyd de The Dark Side Of The Moon -4 ans après l’alunissage historique- fait grande impression. Malgré l’allure post-hippie de Waters, Gilmour, Wright et Mason, le Floyd fait office de royal ambassadeur de Sa Majesté Hi-Fi. Si la norme « High Fidelity » existe depuis les sixties, elle s’installe à domicile pendant la décennie suivante, attendant goulûment des disques qui permettront l’éclate en stéréo. Via Money et Time, emblématiques de The Dark Side, noyautés de sons de caisses enregistreuses et d’horloges (…), le Floyd passe spectaculairement d’un canal à l’autre de la sono. Ce qui semble aujourd’hui assez naïf fait alors bomber le torse des aficionados musicaux. Enjoués à l’idée de participer à une vision internationale glamour du modernisme. On connaît l’anecdote: quand Johnny Rotten passe son « audition » à l’entrée des Sex Pistols, il porte un t-shirt du Floyd barré d’un tonitruant « I hate » rajouté à la main . Une pose nuancée ultérieurement (2), mais complètement symptomatique du statut floydien au mitan des années 70. Populaire mais hors-mode. The Dark Side, qui se vendra à 45 millions d’exemplaires (troisième meilleure vente de tous les temps), éradique les maigres subsistances underground du groupe fondé en 1965 par le magistral marginal Syd Barrett. Le Floyd n’est pas seulement un paradoxe commercial: ses compressions psychédéliques chargées de thèmes volontiers dérangeants, portés par les angoisses ontologiques de Waters, s’habillent de mélodies accrocheuses, presque sucrées. Et d’un talent prononcé pour spatialiser une chanson, synthétisant expérimentation sonore et hypnose instrumentale. Dans cette chimie assez particulière où l’on négligera quelque peu les albums de l’après- Wall, il reste un fantasme: celui d’une forme d’hyper-modernité, y compris médiatique, qui n’écraserait pas tout mystère créatif. Y compris en se disséminant dans les générations futures: sans le Floyd, Radiohead n’aurait jamais sonné comme tel, Thom Yorke restant probablement cultiver son regard bizarre et ses névroses à Oxford! La force du Floyd est aussi dans son formatage visuel: Storm Thorgerson et sa société Hipgnosis conçoivent le design de 8 des 14 albums studios sortis entre A Saucerful Of Secrets (1968) et The Division Bell (1994). Les illus naviguent entre hyperréalisme et borderline kitsch (les lits infinis d’ A Momentary Lapse Of Reason), trouvant souvent l’image marquante: c’est le cas de la couverture de The Dark Side, décomposition au prisme de la lumière blanche en arc-en-ciel. Thorgerson traduit inconsciemment (?) le parcours de la formation, passée des sunlights brûlants de la Roundhouse 1966 aux myriades colorées des stades de fin de XXe siècle. Quand le Floyd est devenu moins un groupe rock qu’une multinationale de l’entertainment.

(1) LA POCHETTE D’ ANIMALS, PARU EN JANVIER 1977 REPRÉSENTE UN COCHON GONFLABLE GÉANT SURVOLANT LA CENTRALE ÉLECTRIQUE LONDONIENNE DE BATTERSEA…

(2) DANS UNE INTERVIEW DONNÉE AU GUARDIAN DÉBUT 2010, ROTTEN/LYDON EXPLIQUE QU’IL AIMAIT LA MUSIQUE DU GROUPE, MAIS PAS LEUR ATTITUDE  » PRÉTENTIEUSE ». INVITÉ À REJOINDRE DAVID GILMOUR SUR SCÈNE DANS LES ANNÉES 2000, IL A DÉCLINÉ.

– PARUTION LE 07/11 D’UN BEST OF ET DE LA VERSION IMMERSION DE WISH YOU WERE HERE. DEUX VERSIONS IMMERSION DE THE WALL SONT PRÉVUES EN FÉVRIER 2012, CHEZ EMI.

TEXTE PHILIPPE CORNET

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