Terry Gilliam n’est pas le seul cinéaste auquel Don Quichotte a causé des désillusions. Malédiction ou pas, Orson Welles n’a pas non plus su achever son film sur le héros de Cervantès. Du milieu des années 50 à la fin de la décennie suivante, ce projet hanta le réalisateur de Citizen Kane qui connut un tournage à épisodes, semé de problèmes parfois dramatiques. C’est en 1955 que Welles débuta à Paris, au… bois de Boulogne, des essais pour un projet centré sur le chevalier à la triste figure. Passionné par un personnage auquel il devait en partie s’identifier, le cinéaste obtint deux ans plus tard l’accord de la chaîne de télévision CBS pour la réalisation d’un téléfilm adaptant Don Quichotte. Le tournage commença au Mexique, de manière on ne peut plus originale. Welles entendait en effet filmer avec une petite caméra portable du type de celles utilisées pour les reportages d’actualité. Le film, en noir et blanc, devait mettre en scène trois épisodes de la vie de Don Quichotte, tels que racontés à une gamine de 12 ans (jouée par Patty McCormack), laquelle interviendrait aussi dans la fiction vu qu’elle s’identifie à la Dulcinée du récit. L’acteur espagnol Francisco Reiguera jouerait le personnage principal, le comédien américain d’origine arménienne Akim Tamiroff interprétant Sancho Panza. Welles imaginait de confronter Don Quichotte au monde moderne, en lui faisant charger non plus des moulins à vent mais des bulldozers, pelleteuses et autres machines de chantier! Les moyens venant à manquer, le tournage s’interrompit au bout de deux mois, puis fut repris (en Italie) en 1959, arrêté une deuxième fois et encore repris en 1961… en Espagne. Un premier montage fut entrepris trois ans plus tard mais un Orson Welles insatisfait du résultat continua de tourner çà et là quelques scènes supplémentaires. Comédien recherché, il jouait dans l’un ou l’autre film pour obtenir l’argent nécessaire à la poursuite du projet Don Quichotte. Même la mort de Francisco Reiguera, en 1969, ne l’empêcha pas de continuer, filmant Sancho Panza errant à la recherche de son maître… jusqu’au décès d’Akim Tamiroff en 1972. A sa propre disparition, en 1985, Welles considérait toujours le film comme un « work in progress »… De ce projet dont on peut légitimement se demander si son réalisateur voulait vraiment l’achever un jour, il reste une série de courts métrages documentaires diffusés dans les années 60 par la télévision italienne et composés de « rushes » du tournage en Espagne. Et aussi un montage controversé, signé au début des années 90 par le cinéaste espagnol de séries B érotico-fantastiques Jess Franco, ex-collaborateur de Welles. Le monde ne verra jamais le Don Quichotte rêvé par le génial Orson. Pas plus qu’il ne pourra découvrir les autres projets maudits du réalisateur, trop nombreux pour être tous cités mais au nombre desquels on peut signaler It’s All True (tournage arrêté par un producteur furieux au Mexique, en 1942), et The Other Side Of The Wind (tourné de 1970 à 1976 et dont un conflit juridique empêcha l’achèvement). Sans oublier une autre adaptation fameuse, celle de Moby Dick, interrompue par un Welles déçu, après le filmage de quelques dizaines de minutes en 1955…

L.D.

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