DE OZ À ORANGE IS THE NEW BLACK, LES SÉRIES CONSACRÉES À L’UNIVERS CARCÉRAL ONT SOUVENT UN TRUC EN PLUS. COMME UN PARFUM DE MODERNITÉ.

Quand on parle de séries de prison, on touche un peu à la genèse de la fiction moderne. Si, si, promis. Parce qu’il y a eu Oz. Sept ans après l’isolée Twin Peaks mais deux ans avant Les Sopranos, la bombe Oz essuyait en effet les plâtres pour celles qui deviendront les légendes que l’on connaît, de The Wire à Breaking Bad, en passant, pourquoi pas, par Game of Thrones. De fait, en laissant une totale liberté à son créateur Tom Fontana, la chaîne payante HBO s’offrait dès 1997 un drame télé au pedigree parfaitement original. D’une noirceur terrible et d’une violence tout aussi extrême, la série dépeignait l’univers carcéral sans la moindre trace de concessions. C’en était fini des héros lisses et des intrigues prédigérées pour soirées pyjama. Usant à fond de cette latitude, Tom Fontana tuait dès le premier épisode un personnage qui semblait voué à jouer les premiers rôles dans le show, enfonçant le clou d’une rupture brutale avec la télé de papa. La série moderne, telle qu’on la consomme aujourd’hui, était en partie née.

« On sait tous que Oz était une série excellente », répond Kate Mulgrew, quand on la lance sur le sujet. La comédienne, dont le CV renseigne un paquet de rôles depuis le milieu des années 70, peut d’autant mieux en parler qu’elle interprète l’explosive et expérimentée Red dans la très aboutie Orange Is the New Black (OITNB), la dernière « série de prison » en date. Débarquée l’an dernier sur Netflix, OITNB nous conte l’arrivée d’une « girl next door » dans l’univers pour le moins particulier d’un pénitencier pour femmes. Ballottée par sa créatrice Jenji Kohan (Weeds) entre comédie et drame, OITNB prend le pari de l’humanité, ouvrant une fenêtre à oxygène que Oz s’est toujours refusée de toucher. Enfermées, mais rigolotes quand même, les filles d’OITNB hésitent à choisir leur camp: complexe, ironique, dur par endroits, inégal dans son kaléidoscope de personnages, le show suit sa propre voie dans l’histoire des séries carcérales. « D’après moi, Orange Is the New Black est la plus graphique, la plus sophistiquée et la plus stimulante des représentations de ce qui se passe dans une prison pour femmes. Jenji Kohan a compris quelque chose que personne d’autre n’avait compris avant elle dans ce créneau: la dynamique des femmes qui vivent dans les confins de cette prison est un terreau infiniment fécond, parce que ces femmes sont sans arrêt occupées à chercher l’humanité l’une chez l’autre, pour en sortir le meilleur. Donc les opportunités sont sans fin », poursuit Kate Mulgrew, soutenue dans le discours par sa comparse Taylor Schilling, l’héroïne principale de cette étonnante « dramédie »: « J’ai visité des prisons pour femmes. Et j’ai été impressionnée de voir à quel point la dynamique de ce qui se passe entre les femmes dans ces prisons est bien rendue. OITNB est un show créatif, mais qui se révèle pertinent sur le plan social et culturel. « 

Prison Break, glamour et efficace

Orange Is the New Black n’est pourtant pas la première série à poser son intrigue dans une geôle pour femmes: en leur temps, la Britannique Bad Girls (sur ITV entre 1999 et 2006) et la Mexicaine Capadocia (cousine de Oz, entre 2008 et 2012) s’étaient aventurées sur les mêmes terrains. Un terrain hautement propice aux incursions filmées. Dans son documentaire Caméras sous les verrous, Benoît Masocco révélait ainsi qu’en 2009, près de 2000 demandes de reportage avaient été introduites dans les établissements pénitenciers français. Fascination. De fait, les codes de la prison, ses clichés, la violence, le désespoir ou même la repentance: autant de grain à moudre pour les documentaires et autres cinéastes qui, tel un Jacques Audiard dans l’impeccable Un prophète, parviennent parfois à voir au-dessus des murs pour toucher à l’essence des rapports humains.

Entre Oz et OITNB, une autre série de prison allait bouleverser les codes du genre: Prison Break. Dans un registre moins réaliste et plus glamour -un festival de beaux gosses- certes, mais sur base d’un scénario particulièrement futé: pour faire libérer son frère condamné à mort, Michael Scofield se faisait enfermer intentionnellement, avec le plan de la geôle tatoué sur la peau. Si les clichés habituels du genre (les gangs par couleur de peau ou nationalités, les matons cruels, tout ça…) pointaient forcément au rendez-vous, le créateur Paul Scheuring se démarquait par un sens du suspense absolument sidérant: difficile, quand on regardait les (premières) aventures de Michael Scofield, d’accepter le sommeil après le générique de fin. Avec 24 h chrono, la série est peut-être l’un des premiers ambassadeurs du « binge watching », cette pratique qui colle aujourd’hui aux basques des fictions télé modernes et qui consiste à avaler les épisodes comme des Tic Tac. La présence d’Orange Is the New Black sur la plateforme Netflix, où tous les épisodes d’une saison sont livrés d’un coup, rejoint d’ailleurs cette logique de modernité. Si l’on tient également compte du légendaire Prisonnier ou de la contemplative Rectify, dans des registres plus symboliques -l’enfermement n’est pas lié qu’aux barreaux-, on se rend compte que les (bonnes) séries de prison ont joué un rôle de choix dans l’évolution de l’univers série. Chacune à leur manière.

TEXTE Guy Verstraeten

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