Open space

Sur son nouveau disque, le trompettiste Christian Scott redéfinit le lien entre rythme et mélodie avec une mixture jazz qui voit large. Bouillonnant.

Christian Scott aTunde Adjuah n’a pas attendu le revival jazz actuel, et sa vision ouverte et décomplexée du genre, pour flouter les frontières musicales. À 36 ans, le trompettiste est même l’un des principaux artisans de cet élan, qui a réussi à intéresser toute une nouvelle génération au jazz. Chez lui, l’éclectisme n’est pas un vain mot. Proche de la scène londonienne (Shabaka Hutchings & co), il a pu collaborer aussi bien avec Prince que Kendrick Lamar ou partir en tournée avec Thom Yorke (le projet Atoms For Peace).

Comment ouvrir une musique sans la dénaturer? Comment l’enrichir sans la perdre? Originaire de La Nouvelle-Orléans -il est le neveu du saxophoniste Donald Harrison Jr et le petit-fils d’un chef de tribu d’Indiens de Mardi Gras-, Christian Scott a forcément le concept de « créolité » ancré en lui. Tout en gardant le jazz au coeur de son travail, il n’a cessé de jeter des ponts. À l’occasion des 100 ans du genre, il a même proposé une trilogie qui cherchait à honorer la « note bleue ». Mais tout en l’étendant, l' »étirant » ( Stretch Music) pour lui faire croiser d’autres horizons. C’est évidemment encore le cas sur son nouveau Ancestral Recall. Plus que jamais, il propose une musique immersive, bouillonnante. Un véritable « océan de sons », qui berce autant qu’il secoue.

Nouvelles frontières

Au départ d’ Ancestral Recall, il y a un constat: bien souvent, la mélodie est encore vue comme un élément musical supérieur, là où le rythme n’est conçu que comme un simple accessoire. Avec, entre les lignes, l’idée que  » les cultures qui donnent la priorité à l’harmonie et à la mélodie sont plus nuancées et sophistiquées que celles qui privilégient le rythme ». Dès lors, le trompettiste prend soin d’expliquer le sens de sa démarche: « Ancestral Recall a été conçu comme une carte permettant de décolonialiser le son; contre les idées reçues sur certaines cultures musicales. » Il est moins question ici de reproduire de nouvelles frontières que de casser au contraire les hiérarchies qui divisent. « Il est temps de créer un son qui dissipe les récits singuliers de peuples et cherche enfin à représenter la richesse des récits retrouvés tout au long de l’expérience américaine. Une expérience qui montre que toutes les formes d’expression dans le son sont valables, comme le sont tous les gens. »

Open space

À partir du jazz, Ancestral Recall distille ainsi une liqueur musicale à la fois épaisse et fluide, pensive ( Diviner, Before) et agitée ( The Shared Stories of Rivals, Forevergirl). Accompagné de ses collaborateurs habituels (la flûtiste Elena Pinderhughes, le claviériste Lawrence Fields, le bassiste Kris Funn), Christian Scott a pondu un disque où les percussions, acoustiques mais aussi électroniques, sont prépondérantes, à la fois ancré dans la terre et dirigé vers le cosmos. L’un des meilleurs exemples est sans doute le titre I Own the Night, fièvre tribale sur laquelle apparaît le rappeur/slammeur/acteur Saul Williams, et où la trompette de Scott lacère la nuit avec une fougue et une fébrilité exaltantes. Passionnant.

Christian Scott aTunde Adjuah

« Ancestral Recall »

Distribué par Ropeadope.

8

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content