MAGA (CONTRE-)CULTUREL DES ANTICONFORMISTES, DES REBELLES, DES ILLUMINÉS ET DES FRANCS-TIREURS, TRACKS ENTAME SA 18E SAISON ET POURSUIT SON « INTERNETISATION« …

« Tracks, c’est un peu le Thalassa de la culture. Une émission qui s’intéresse à la mer mais où on ne voit pas que des poissons et des pêcheurs. » David Combe a le sens de la formule. Avec l’ancien d’Actuel et de Globe Jean-Marc Barbieux, Combe (Paris-Première, TV5, TF1) est depuis quatorze ans rédacteur en chef pour le pôle français du programme culturel le plus audacieux de la télé. Le seul endroit -c’est au menu de l’émission de rentrée gérée par l’une des deux autres boîtes de production, allemandes celles-là-, où découvrir des collectifs qui bidouillent du son à partir de plantes en pot (Data Garden), une street dance inventée par des membres de gang voulant désormais régler leurs conflits en musique (le flex) et un duo de Nottingham post punk hip hop qui chante ses passages à l’agence pour l’emploi et ses potes de pisse (Sleaford Mods).

« Nous ne courons pas après les tendances. Prédire ce qui va marcher est difficile pour ne pas dire impossible, explique Combe. Nous parlons de choses qui n’auront jamais ou presque un grand retentissement. Mais nous sommes en quête d’inédit. Nous voulons raconter des histoires. Replacer la création dans son contexte. Voir comment une société évolue. Comment la culture fait bouger les lignes… L’idée est d’expliquer aux téléspectateurs pourquoi un artiste mérite notre attention et en quoi il est différent. Nous voulons bousculer les gens dans leurs convictions. Plutôt que de leur parler de ce qu’ils connaissent déjà, leur faire découvrir des personnalités dont ils ne sont pas censés croiser le chemin. Derrière un art parfois étrange, il y a souvent quelqu’un d’intéressant dans son rapport au monde et sa vision de l’époque. »

Emission, dans un premier temps musicale, créée en 1997, Tracks est aujourd’hui le maga de toutes les contre-cultures, des rebelles, des freaks, des poètes, des originaux et des marginaux… Parce que, comme dit Combe, « puiser dans les sports extrêmes, l’activisme, la réalisation, aide à montrer toute l’énergie du monde. »

Acte de résistance à la culture mainstream, fade et/ou décérébrée qui sévit à la télé, Tracks est fabriqué par une dizaine de journalistes et une cinquantaine de pigistes aux contributions irrégulières. « Une galaxie de gens de terrain plus ou moins fidèles qui font du docu, de la fiction… Toujours en voyage, en éveil et prêts à nous ramener de belles histoires. Valentine Bourrat qui a récemment été arrêtée par le pouvoir indonésien avait par exemple signé un sujet sur Aryana Sayeed, membre du jury de The Voice Afghanistan menacée de mort par les fondamentalistes (le programme étant accusé de miner l’identité afghane en diffusant la propagande occidentale, ndlr). »

Certains se perdent dans leur quête éperdue et un peu folle de nouveauté. D’autres défendent l’art à papa, ses poussières et ses toiles d’araignée. Le « c’était mieux avant » chevillé au corps. « Rien ne se perd. Rien ne se crée. Tout se transforme, résume Combe. On a souvent un sentiment de déjà-vu mais il nous appartient de le combattre pour ne pas devenir de vieux réac. Quand le rock a débarqué, les bluesmen se disaient déjà qu’il s’agissait d’une resucée. Il faut s’intéresser aux mutations. Ce sont elles qui font évoluer nos sociétés. » Alors Tracks, en quête d’univers singuliers, traque les obsessionnels, les wizards et les mavericks… « Nous voulons offrir de la place à leur travail. La télé parle trop souvent de culture sans la montrer. C’est ce que nous cherchons à tout prix à éviter. Et c’est ce qui explique que nous ne faisons pas de BD et de littérature. »

Une appli et de nouveaux habits…

Elitiste, le programme qui recevait en 2012 le « Gérard de l’émission parisianiste pour hipster à moustache Technikart et bobo girl néovintage Les Inrocks« ? « Des films ont marqué leur génération en étant bêtes comme choux. L’art n’est pas détaché de ce qui se passe dans la société, ses tensions, ses préoccupations. On a un rapport au monde plutôt positif et on est en quête d’invention. Nous sommes tous façonnés par des gens qui ont une certaine culture et nous amènent à voir les choses autrement. »

La critique, la promo, les sorties de disques, Tracks s’en balance comme du dernier Kings of Leon… « On se fixe des limites mais ni plus ni moins que celles du journalisme. On peut parler de tout le monde, même des mecs les plus détestables, tant qu’on donne au public les clés pour les décoder. On a par exemple prévu un sujet sur le coal rolling… Ces mecs qui trafiquent leurs camions et leurs 4×4 pour qu’ils crachent une fumée noire et toxique. Et ainsi protester contre la politique d’Obama. On nous compare souvent à Vice. Nous avons des collaborateurs qui y travaillent. Mais nous ne sommes pas dans la moquerie. Nous ne cherchons pas à dézinguer et à mettre des journalistes, d’ailleurs pas toujours bien armés, en vedette. »

Chaque samedi, malgré son heure tardive, Tracks s’est aujourd’hui stabilisé autour des 300 000 téléspectateurs. « On a connu de plus mauvaises audiences. De meilleures aussi. Mais au départ, nous étions diffusés à 19 heures et il n’y avait que cinq ou six chaînes de télé en France…  »

Cette saison, l’émission aura un générique tout beau tout neuf, un nouvel habillage graphique et un timing plus serré (43 minutes). Puis aussi un site Web remodelé et une appli pour smartphones et tablettes afin d’enrichir son visionnage… « Notre existence a régulièrement été mise en péril, termine Barbieux. On nous a déjà dit cinq ou six fois qu’on ne commencerait pas la saison suivante. La question de l’animateur revient souvent sur le tapis. Mais on n’a pas un budget dingue. Et on préfère payer un mec pour nous ramener un sujet du bout du monde qu’un type censé incarner le petit jeune branché. Tracks, ce n’est pas un visage, c’est un état d’esprit. »

TEXTE Julien Broquet

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