LA PARABOLE CANINE, HONGROISE ET UNIVERSELLE DE WHITE GOD VAUT À KORNÉL MUNDRUCZO UNE RECONNAISSANCE MÉRITÉE.

White God a explosé au Festival de Cannes, où le Prix Un Certain Regard lui a été décerné. On connaissait déjà son auteur, le Hongrois Kornél Mundruczo, mais on a découvert le réalisateur radical et parfois cryptique de Pleasant Days et Johanna sous un jour à la fois plus accessible et significatif. « On se fait trop souvent une idée très intellectuelle du cinéma d’auteur, déclare-t-il. J’ai voulu faire parler le coeur, et l’offrir en partage au spectateur. » Mission accomplie pour un cinéaste de bientôt 40 ans, auquel on doit une parabole des plus intéressantes. Un film sur les chiens qui en dit long sur les hommes, sur leur peur et leur rejet de la différence. Sur l’exclusion, aussi, telle qu’elle vise encore aujourd’hui les « bâtards », ceux qui ne sont pas conformes à l’identité dominante, et qu’on laisse dans la rue, au risque de les voir un jour mordre la main qui ne les nourrit même plus…

Tout a commencé par l’adaptation, au théâtre, du roman de J.M. Coetzee Disgrâce (2001). Le grand écrivain sud-africain y décrivait avec dureté une société post-apartheid violente et terrifiante, évoquant entre autres le sort de chiens abandonnés par leurs propriétaires blancs après avoir été dressés pour attaquer les Noirs… Ses recherches pour la pièce menèrent Mundruczo dans des fourrières hongroises remplies à ras bord de chiens errants capturés. « C’est au milieu de ces animaux enfermés que m’est venue l’idée du film, et en premier lieu cette image de Budapest vidée de ses habitants humains et où courent des chiens, dont je ne savais pas encore qu’elle allait devenir emblématique… » Le réalisateur s’est intéressé aux travaux d’un groupe de recherche existant dans son pays et qui étudie le comportement canin. « J’ai notamment appris qu’un chien bien éduqué peut atteindre le niveau mental d’un enfant de cinq ans, explique-t-il, et aussi qu’un chien vivant dans une famille ne sait pas qu’il est un chien, il se croit un membre -poilu- de la famille… Ce fut crucial, car j’ai compris que mon film ne raconterait pas l’histoire d’un chien mais bien d’un petit homme… »

Une fable réaliste

White God sera vu un peu partout, et à juste titre, comme une allégorie, une parabole sur le sort des déclassés de la société, des exclus du système. Mais son auteur a voulu, au départ, conter un récit direct, au premier degré. « Le fait que cette histoire de chien abandonné, confronté à la violence et à la cruauté des humains puis qui se révolte, puisse être vue comme une allégorie, montre à quel point les chiens font partie de notre société, dont ils peuvent figurer, incarner même, des minorités, des rejetés« , commente Mundrunczo. Lequel n’a « jamais voulu forcer la dimension métaphorique« , donnant par là même plus de puissance naturelle à celle-ci…

Jusqu’à 50 dresseurs furent requis simultanément pour mener à bien certaines séquences du film! Et pour le rôle de Hagen, il fallut un casting… américain, par une spécialiste qui a retenu deux chiens jumeaux, tous les autres cabots apparaissant à l’image étant hongrois. « Tourner avec eux fut bien moins difficile que certains le croiraient, affirme le réalisateur. Un chien n’a envie de rien davantage que de faire ce que l’homme attend de lui, surtout si cet homme ne le traite pas comme un chien!« , sourit un cinéaste qui avait décidé, formellement parlant, « d’aborder l’histoire comme une fable, une utopie, mais en la filmant dans la réalité d’aujourd’hui, en refusant à la caméra la tentation de la stylisation« .

On pourrait imaginer que la dimension politique indirecte de White God suscite quelque controverse en Hongrie, laboratoire populiste de l’Europe et société secouée par la peur de l’autre, les crispations identitaires. « Les spectateurs ont fait du film un succès,mais aucun parti ne s’en est servi pour élément de débat, ironise Kornél Mundruczo. Leur réaction à peu près unanime fut de se dire: « Qu’est-ce que c’est que ce truc?« .«  La portée universelle de ce film, dont le cinéaste se disait qu’il serait « le plus hongrois » qu’il ait réalisé, il s’en est aperçu en le voyant distribué dans de très nombreux pays. Un triomphe qui vaut au cinéaste une pluie de propositions pour tourner ailleurs, et en anglais. Mundruczo se tâte, mais quelque chose nous dit que la tentation est forte…

RENCONTRE Louis Danvers

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