DANS CAMILLE REDOUBLE, NOÉMIE LVOVSKY OPÈRE UN STIMULANT VOYAGE DANS LE TEMPS, RETROUVANT SES SEIZE ANS LE TEMPS D’UNE COMÉDIE ENLEVÉE ET SENSIBLE, EN DÉCALAGE CONTRÔLÉ.

L’adolescence, Noémie Lvovsky en avait déjà tâté, le temps d’un film particulièrement réussi d’ailleurs: c’était en 1999, et La vie ne me fait pas peur accompagnait ses quatre protagonistes au moment où l’âge ingrat se transforme en celui de tous les possibles. Treize ans plus tard, la perspective a quelque peu changé, et l’actrice-réalisatrice y revient au prix d’un voyage dans le temps, n£ud d’une comédie aussi savoureuse que sensible, Camille redouble ( lire critique page 30). Au c£ur de celle-ci, on trouve une femme dans la quarantaine à qui la vie n’a, de toute évidence, guère fait de cadeaux. Et qu’un artifice de cinéma va donc ramener au temps de ses 16 ans, pour renouer avec sa vie de lycéenne, établissant ainsi une continuité inattendue dans le parcours de la cinéaste. « Des questions que je me pose depuis l’adolescence et peut-être même depuis l’enfance courent de film en film, opine Noémie Lvovsky, de passage à Bruxelles. Ces questions, c’est par exemple: Est-ce que le temps nous change au point de nous faire devenir quelqu’un d’autre? Est-ce qu’il existe une part irréductible en nous? Et cette part d’irréductible existe-t-elle dans l’amour, dans l’amitié? Que sont ces moments où l’on a tous les âges? Le temps passe, je vieillis, je grandis, mais les questions restent. J’ai eu envie de me les coltiner de manière plus frontale, et la façon la plus concrète pour y arriver m’a semblé être un truc fantastique, un voyage dans le temps. »

En l’occurrence, la réalisatrice a effectué ce voyage à sa manière, sans se laisser écraser par les codes du genre, à quoi elle a substitué un concept aussi ingénieux que réjouissant: si les protagonistes du film voient Camille comme l’ado qu’elle est redevenue, le spectateur la suit, pour sa part, avec son apparence et son vécu d’adulte, confrontés à sa nouvelle réalité -celle que Noémie Lvovsky appelle son deuxième passé . « A l’écriture, comme je n’ai pas la culture du fantastique ni de la science-fiction, je n’ai pas travaillé le genre, j’ai suivi le personnage. C’est raconté depuis Camille, je n’ai pas pris de hauteur. Et parfois, cela butait », poursuit l’auteure. Encore que le film se joue avec maestria des paradoxes généralement induits par ce type de postulat, pour trouver une ligne singulière, où la drôlerie objective des situations n’enlève rien à la sensibilité du propos -il est ici question, en définitive, de temps qui passe, avec aussi ce que cela peut charrier comme vibrations douces-amères.

Ni non, ni oui

On peut du reste à loisir voir dans Camille une nouvelle déclinaison de la Emilie de La vie ne me fait pas peur, et imaginer, dans la foulée, l’une et l’autre renvoyant à Noémie Lvovsky elle-même, ce que l’intéressée conteste d’autant moins qu’elle prête ses traits à l’héroïne de son dernier film. Une première pour la comédienne, qui ne s’était jamais retrouvée des deux côtés de la caméra, et une décision judicieuse qui fut tout sauf simple à prendre: « Je ne pensais pas la jouer. Mais Jean-Louis Livi, le producteur, avait l’intuition qu’il le fallait. Il m’a demandé de me faire passer des essais. Je n’étais pas bonne, il en convenait, mais lorsque j’ai souhaité rencontrer d’autres actrices, il a refusé. J’ai refait des essais, et je n’étais toujours pas très bonne. Mais quand j’ai voulu passer à autre chose, il m’a proposé de faire des essais en conditions de tournage, ce qui ne m’était encore jamais arrivé. Ces conditions donnent une énergie, une intensité, une concentration que l’on n’a pas ailleurs. Les essais étaient meilleurs, et Jean-Louis, qui avait compris que je n’arriverais jamais à lui dire un non ferme, mais que je n’arriverais pas non plus à lui dire oui, ne pouvant me proposer le rôle à moi-même, s’en est chargé. Et j’ai donné mon accord. »

Si Camille redouble, Noémie se dédouble donc, et plus encore encore au gré des humeurs que son film alterne avec agilité, suivant une ligne reliant la mélancolie à la loufoquerie. Et l’idée du cinéma comme instrument à réenchanter le monde de gagner en consistance. « Peut-être. Il y a des choses de la jeunesse qui donnent le la pour des dizaines d’années. Ma première cinéphilie, lorsque j’étais toute petite, était celle de mon père: les Marx Brothers et les films avec Fred Astaire. Au début, je ne regardais pas les films, mais son visage: il avait un air émerveillé que je ne lui connaissais pas -alors, il y a peut-être quelque chose de vouloir enchanter qui vient de là. Plus tard, il y a eu Baisers volés , de Truffaut. Dans ses films, on sent comme une tempête sous un crâne: il y a une possibilité de violence inouïe, et en même temps quelque chose de très doux, comme s’il voulait rendre la vie plus vivable.Comme spectatrice, en tout cas, je viens de lui. Et quand on tourne un film, c’est toujours bizarre: on est le spectateur que l’on est, on est fait des films qu’on a vus, mais aussi de ceux que l’on voudrait faire. J’ai l’impression d’être partagée entre quelque chose comme rendre la vie plus vivable, et un rapport beaucoup plus cru. » Vous avez dit funambule? l

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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