Rencontre avec Arnaud Desplechin autour de son merveilleux Conte de Noël, histoire de famille et de beaucoup d’autres choses encore.

Cinquième long métrage d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël traduit une évolution significative dans son parcours. Si l’on y retrouve l’essence de son cinéma, jamais sans doute le réalisateur de Rois et reine n’était-il apparu à ce point maître de son sujet, entraînant le spectateur dans une £uvre foisonnante d’une exceptionnelle fluidité, marquée à la fois du sceau de la gravité et de la légèreté. Une forme d’accomplissement, découverte avec enchantement lors du dernier festival de Cannes.

Ne restait dès lors qu’à prolonger le charme, le temps d’un entretien parisien. A l’heure convenue, Arnaud Desplechin arrive, flanqué de son petit bout, au cinéma du Panthéon. Puisque le temps est radieux, et histoire de le laisser griller quelques Chesterfield, l’interview aura pour cadre la terrasse plutôt que le Salon aménagé au-dessus de cette salle du Quartier Latin, Salon amoureusement décoré par Catherine Deneuve.

Une première bouffée, et voilà qu’on aborde l’ouverture du film, une scène de funérailles où, évoquant la mort de son enfant, un père constate ne pas éprouver de chagrin.  » Ce sont les propos qu’a tenus Ralph Emerson à la mort de son fils, Waldo, à l’âge de sept ans, observe le cinéaste. J’ai beaucoup lu Stanley Cavell, qui a énormément écrit sur Emerson, mais chaque fois qu’il explique cela, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Emerson essaye de retourner le chagrin en joie. Il y a là une vérité poétique très forte qui m’échappe intellectuellement. Et comme pour d’autres films, lorsqu’une réplique résiste, et qu’on se demande quel genre d’homme peut dire une telle chose, on a le départ d’un scénario… « 

UN FILM NE VAUT QUE POUR LUI-MêME

Ajoutez-y, rayon inspiration, La greffe, ouvrage à deux voix de Jacques Ascher et Jean-Pierre Jouet – un psychanalyste et un cancérologue – sur les greffes de moelle osseuse. Et encore  » l’idée,un peu cocasse et embarrassante, dans le monde très trivial d’aujourd’hui, du bannissement« , et voilà pour les fondements d’un film réunissant, le temps d’un réveillon de Noël, une famille aux liens distendus.  » J’ai mon petit théâtre de silhouettes, mais les thèmes viennent d’ailleurs, de livres ou de films que je rencontre, de croisements entre un livre et un film… « , explique Arnaud Depleschin. Relève-t-on certaines constantes – la famille, justement, et la filiation, plus précisément, qu’il esquive:  » Je ne m’en rends pas vraiment compte. Je travaille toujours avec des camarades, on partage des histoires. Alors, c’est vrai qu’après-coup, il y a des liens, mais les relations sont toujours différentes.  »

On parlera néanmoins des correspondances, multiples et nullement fortuites, que l’on peut établir entre ses différents films. Comme celle voulant que l’on tombe souvent dans l’oeuvre d’Arnaud Desplechin. Ainsi, cette fois, de Catherine Deneuve et Mathieu Amalric, dans des circonstances toutefois différentes –  » comparer deux choses qui ne sont pas comparables, et qui soient juste des formes de cinéma, les filmer différemment, ça, ça fait partie du jeu, très fort« . Ou encore, que l’on retrouve, dans Un conte de Noël un personnage répondant au nom de Paul Dedalus – figure centrale de Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle):  » Ce sont des éléments de fiction. Cela m’a frappé, quand j’ai commencé à voir sérieusement les films de Bergman, que certains noms revenaient, plus comme des fonctions. Parfois, ce sont des petits cadeaux que je peux faire à un personnage, parfois c’est plus un thème. Dans le cas de Paul Dedalus, je me suis dit que si ce jeune garçon, un rôle très douloureux, pouvait terminer comme celui joué par Mathieu dans Comment… , ce ne serait pas si mal; du coup, il y a comme une petite promesse d’avenir. Mais je pense surtout aux gens qui n’ont pas vu les autres films. Et Dedale, ce n’est pas mal pour un type qui est perdu. Un film ne vaut que pour lui-même. »

LE PAYS Où TOUT EST POSSIBLE

Celui-ci traduit une évolution sensible dans la manière – on serait tenté de parler d’un surcroît de sérénité et de légèreté.  » J’essaye juste d’obéir à la logique du film qui n’est pas la mienne, c’est un film qui combat le chagrin. Mais je suis toujours autant désespéré(rires) . Peut-être que je mets mon énergie ailleurs, que la rage passe dans le fait d’aller plus vite, d’attaquer plus vite les scènes, d’essayer de tasser le récit, d’être plus grossier…  » A quoi l’on ajoutera une stimulante liberté créative, accompagnée d’une réjouissante liberté de ton. Film où l’on boit généreusement, et où l’on consomme non moins allègrement diverses substances, Un conte de Noël oppose ainsi sa résistance en coin aux carcans toujours plus nombreux de la société.  » Oui, oui, approuve Arnaud Desplechin . C’est d’ailleurs quelque chose que j’adore dans The Darjeeling Limited , le dernier film de Wes Anderson. Ils se droguent tout le temps, mais on n’en fait pas tout un pataquès. Je ne prends pas de drogue, c’est très mal considéré aujourd’hui, mais dans les années 70, les gens écrivaient des trucs très amusants sur la drogue. J’ai des amis que je trouve remarquables qui se droguent, je n’aime pas qu’ils soient mis au ban des choses. Cela m’amuse que mes personnages commettent des excès.  »

Du reste, ils évoluent dans un univers sur-mesure. En douterait-on que le point d’exclamation ponctuant le Roubaix – ville d’origine du cinéaste – du sous-titre serait là pour le rappeler.  » Il y a cette idée qu’on va à Roubaix de même que dans les pièces de Shakespeare, on va en Italie. Ou, dans l’imaginaire de jeunes gens, en Amérique. On ne sait pas ce que c’est, donc là-bas, c’est enchanté, tout peut se passer. Le fait que ce soit en France un lieu assez dérisoire, une ville assez modeste ayant mauvaise réputation, très pauvre, et essayer d’y mettre le!, c’est une façon de dire: Là, c’est le pays où tout est possible . Cette tension entre la chose triviale et le merveilleux, c’était le projet du film.  »

ENTRETIEN JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS, À PARIS

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