Certains s’enferment dans une ferme du Périgord pour prendre le pouls du monde par la lorgnette Facebook et Twitter. Et si on faisait pareil, mais en regardant à travers le trou de la serrure du cinéma, de la musique, de la littérature ou de la danse? Quelle couleur dominerait? Le rose ou le noir? Sans hésiter, le noir. Au choix, celui, toxique et violent, qui brouille le c£ur et la raison des hommes dans La régate de Bernard Bellefroid ou dans Shutter Island de Martin Scorsese; celui, effrayant et apocalyptique, qui assombrit le futur mité ebauché dans le solo magnétique de la chorégraphe Michèle Noiret, Demain; celui encore, venimeux et incandescent, qui pimente l’imaginaire d’écrivains aux prises avec leurs démons (Philiph Roth, James Ellroy…) ou ceux des autres (William T. Vollmann, Kate Atkinson…); celui, enfin, qui pique aux yeux et aux oreilles tellement il charrie de sentiments écorchés et piétinés, de Get Well Soon à Gil Scott-Heron en passant par la sirène aux écailles fânées, Corinne Bailey Rae. La météo reste largement influencée par une zone de dépression (dernier exemple en date: Mary and Max, aussi superbe que plombant). Même Gad Elmaleh délaisse son nez rouge de clown maniéré pour endosser le costume de la tragédie dans un film, La rafle, rembobinant l’histoire jusqu’au sombre chapitre du « Vel d’Hiv » (sortie le 10 mars). Cette tendance lourde comme un casque à pointe de retourner sans cesse sur les lieux du crime absolu, de Guédiguian à Tarantino, de Jonathan Littell à Yannick Haenel, est d’ailleurs un symptôme de plus de l’état d’anxiété généralisé. On laboure inlassablement ce chant funèbre comme pour l’exorciser. Ou en décoder la mécanique infernale afin de l’enrayer… On ne va pas faire ici l’énumération des maux qui nous compriment la carotide mais il est évident que le marasme social, la crise économique, les hoquets climatiques et le brouillard qui enrobe nos convictions, pèsent sur le moral de cinéastes, écrivains ou chanteurs qui s’abreuvent à la source du réel. « A quoi bon s’infliger ce supplice, le monde est déjà si laid, si cruel? », se diront avec amertume certains. Parce qu’à la différence de l’Histoire, qui s’écrit dans le marbre, l’art trace son sillon dans l’argile. Rien n’est jamais définitif. Sous les couches de suie perce ainsi toujours une forme de rédemption. Dans A serious man, le nouveau Coen, Larry le loser trébuche sur la marche de la révolution sexuelle. Il parvient cependant in extremis à se récupérer en s’accrochant à la rampe d’un humanisme désintéressé. Dans Metropolis aussi, le chef-d’£uvre fraîchement reconstitué de Fritz Lang, les héros finissent par triompher du mal incarné et des élucubrations prométhéennes d’un savant fou. Comme quoi, avec un peu d’amour et de sincérité, rien n’est perdu.

Par Laurent Raphaël

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