Mr Nobody. Sur les traces d’un homme tentant de s’affranchir de son existence pour vivre son fantasme d’ailleurs, Patrice Toye signe un film surprenant et envoûtant.
De Patrice Toye. Avec Frank Vercruyssen, Sara de Roo, Wim Willaert. 1 h 36. Sortie: 26/11.
C’est l’histoire d’un homme, Tomas, à la quarantaine en apparence épanouie; un individu acide à l’occasion – le prix de la lucidité -, mais me-nant une existence aux contours heureux, dans un environnement ouaté. En apparence seulement, car si d’autres se laisseraient endormir par ce confort quotidien, Tomas, lui, a fait v£u de ne renoncer à rien. Si bien qu’un jour, suivant un plan minutieusement préparé, il s’évanouit dans la nature – mort dans un incendie aux yeux du monde, et de sa femme Sara en particulier, mais à l’aube d’une nouvelle vie. Ayant choisi de prendre le large, il se retrouve bientôt dans un décor de carte postale, installé sur une île, Waomoni, n’ayant de paradisiaque que la réputation. Considéré comme une bête curieuse, et unique client du bar qu’il a ouvert sous les palmiers, Tomas a, au fil du temps, tout loisir de méditer sur son sort et sur les mérites comparés de la banlieue résidentielle aseptisée qu’il a quittée et de sa terre d’élection…
Rosie, la fillette au c£ur du premier long métrage éponyme de Patrice Toye, évoluait entre rêve et réalité; Tomas choisit pour sa part de vivre son fantasme, Mr Nobody ayant décidé de s’affranchir de son existence, et échappant dès lors à sa condition mais aussi à celle de tout un chacun. Au départ de cet intéressant postulat, Niemand adopte le profil d’une robinsonade inédite, confrontant son « héros » en pleine midlife crisis à un isolement et à une aliénation croissants, en un processus débouchant sur une lente mais sûre désagrégation.
visiteurs inattendus
Fascinant, le film opère à ce stade un basculement pour le moins surprenant, et ose, dans sa seconde partie, une redistribution des rôles qui ouvre sur de multiples interprétations. D’un fantasme, voilà qu’en surgit en effet un autre, non moins fécond. S’invitent alors à l’écran des visiteurs inattendus – Mr Lee Chang-dong, le réalisateur de Secret Sunshine, par exemple -, mais aussi des motifs divers qui, entre fantastique et fétichisme, viennent perturber le cours recomposé des choses. Niemand glisse alors en terrain troublant, non sans faire de la relation entre les êtres – ou plutôt leur incommunicabilité essentielle – son pivot. Il y a là des réminiscences du cinéma d’Antonioni, influence totalement assumée, d’ailleurs, par une mise en scène et une construction volontiers elliptiques, sans que le propos ni la singularité de l’£uvre ne s’en trouvent pour autant écrasés.
L’une ou l’autre raideur mise à part, voilà une £uvre déroutante, mais qui vaut que l’on s’y laisse dériver. Et la confirmation, dix ans après Rosie, un premier film en forme de révélation, de l’immense talent de Patrice Toye ( voir également notre portrait en page 9).
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Jean-François Pluijgers
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