Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Cave puissance 3 – Les rééditions luxueuses de Tender Prey, The Good Son et Henry’s Dream, sortis entre 1988 et 1992, chroniquent une lente remontée des enfers jusqu’à l’amour trouvé au Brésil.

Rééditions

Distribuées par Mute/EMI.

Cave puise dans sa propre psyché pour livrer l’essence de ses vies discographiques. C’est, pour sûr, le principe inhérent à toute création artistique mais l’électrocardiogramme du chanteur aus-tralien semble avoir de plus grandes amplitudes que la normale. Tender Prey (septembre 1988 bonus ) est le dernier disque enregistré pendant la période berlinoise, synonyme de drogues dures et de chansons infestées d’humeurs que Cave définit lui-même comme « difficiles, particulières, sombres, voyeuristes, chaotiques ». Les sessions également tenues à Londres et en Australie sont marquées par l’addiction lourde de Cave, au zénith de sa consommation d’héroïne. L’affaire s’ouvre par The Mercy Seat, 7 minutes de récit d’une exécution à la chaise électrique d’un coupable  » presque innocent ». La chanson, énorme carcasse littéraire déchirée par un brillant texte, menée sur un rythme épique, écrase un peu le reste de l’album, parfois lumineux ( Deanna) mais globalement inégal. Mais le second CD/DVD, qui contient notamment un film de près de 40 minutes sur la saga du disque, est passionnant (1). On a un gros faible pour The Good Son(avril 1990 bonus ) qui, à l’époque de sa sortie, prend à revers une bonne partie des fans hardcore de Cave, désorientés par le quota de ballades mélodiquement conviviales du disque. Cela commence par le majestueux Foi na cruz, chanté en portugais. Cave s’étant en effet amouraché du Brésil (et d’une Brésilienne), restant à São Paulo et s’imprégnant d’une douceur locale beaucoup plus vénéneuse qu’il n’y paraît au premier abord. Si une partie des textes reste dans cette lignée de confrontation perpétuelle, de borderline moral, de promesse de rédemption, l’album recèle aussi son quota de tendresse, de romantisme, de beauté avouée ( The Ship Song). En accentuant le chant choral avec ses coéquipiers, Cave renforce l’idée d’unité autarcique qui s’adresse collectivement au monde. D’ailleurs, ce collectivisme musical a de toute évidence influencé des groupes comme Arcade Fire, dont Nick Cave précède ici la flamboyance par une collection de morceaux sans faille. Henry’s Dream (avril 1992 bonus ) est sans doute le disque le plus brouillon, le plus cru, d’un point de vue sonore, réalisé avec les Bad Seeds, formation en tout point exceptionnelle, véritable bras armé, double matriciel de Cave. Produit par David Briggs (Neil Young), l’album n’est pas aimé de ses musiciens: faut voir leurs têtes dégoûtées dans le doc bonus quand ils en commentent l’enregistrement. Le morceau d’ouverture, le fantasmagorique Papa Won’t Leave You, Henry, infernale logorrhée, détermine le caractère lugubre, voire macabre des thèmes explorés. Mais planqué derrière l’assaut glauque ( Jack The Ripper), Cave ne cesse de commenter sa propre condition humaine. Au final, c’est sa complexité et sa vulnérabilité que l’on retient de l’Australien. Celles qui touchent durablement.

(1) chaque réédition contient le même type de

documentaire titré Do You Love Me Like I Love You, montage de témoignages (sans Cave), des vidéos mais aussi des versions 5.1 du disque.

Philippe Cornet

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