Nationalité: Poète

© © ROBERT FILLIOU, NOT SO EMPTY BOX WITH STRING, 1973, COURTESY ESTATE OF ROBERT FILLIOU & PETER FREEMAN INC., NEW YORK/PARIS. PH
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE M HKA CONSACRE UNE RÉTROSPECTIVE À ROBERT FILLIOU. POÈTE, PENSEUR ET PLASTICIEN, IL A DÉFINI L’ART COMME « CE QUI REND LA VIE PLUS INTÉRESSANTE QUE L’ART ».

Le secret de la création permanente

ROBERT FILLIOU, M HKA, 32 LEUVENSTRAAT, À 2000 ANVERS. JUSQU’AU 22/01.

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Avant d’aborder cette rétrospective dédiée à Robert Filliou (1926-1987), il n’est pas inutile de se remettre en mémoire les grandes lignes de la mouvance Fluxus dont il n’a jamais fait partie mais qui constituent pourtant l’horizon de la pratique de cet artiste-militant français majeur. Tout comme le mouvement né au début des années 60, Filliou s’inscrit dans la lignée de Duchamp et, plus largement, de dada. S’il s’agit avant tout d’un état d’esprit plutôt que de contours clairement établis, plusieurs lignes de force se dessinent. La plus évidente d’entre elles? La volonté d’effacer la frontière entre l’art et la vie. Duchamp avait transformé en oeuvre d’art le fait de respirer… À sa suite, Filliou entend mettre à jour le potentiel poético-artistique des situations les plus banales à travers des performances, des textes et la récupération d’objets. Tout au long de son oeuvre, il revendiquera comme essentiels son absence de talent, ainsi que son refus de reconnaître les catégories esthétiques traditionnelles. Également crucial est son désir pédagogique. Par le biais de celui-ci, il entend convaincre le grand public de l’impérieuse nécessité qu’il y a à transformer l’économie politique en économie poétique. Pour ce faire, il s’adresse à tous, par tous les moyens. De cette intention fondatrice découle le caractère singulier de son travail. Filliou s’expose en pratiquant intensément le « je », un artifice favorisant la communication immédiate et empêchant toute tentative de sacralisation de son oeuvre. Ce procédé se découvre comme le fil rouge émouvant de la rétrospective: par le biais de ses mots, la voix post mortem de l’artiste accompagne le visiteur.

Parcours libératoire

Que raconte Filliou? Il célèbre cette « création permanente » festive qui se trouve au coeur de tout un chacun mais dont nous laissons les pouvoirs nous dépouiller. Au fil des salles du M HKA, ce désir remonte du fond de l’être à la manière d’une sève trop longtemps réprimée. Là, une Bouteille de vin rêvant d’être une bouteille de lait (1961) pointe la simplicité des dispositifs à utiliser, soit deux bouteilles vides, une planche de bois, un fil de fer et un cadre. C’est aussi bête que cela? Oui, les oeuvres de carton ou les totems improvisés ne disent pas autre chose: la création est là, il suffit de se pencher et de laisser faire son intuition. Dans un court texte, le plasticien rappelle l’incroyable pouvoir du ready-made, au-delà même de ce que Duchamp suggérait. Bien sûr, tout objet est double, à l’instar de la scie, fonctionnelle ici, oeuvre d’art ailleurs… Filliou élargit le potentiel imaginant que « dans l’espace, on rencontrera peut-être des animaux qui lui ressemblent« . Au chevet de cette libération des possibles en nous, Filliou convoque également son « principe d’équivalence« , combinatoire gommant la hiérarchie entre le « bien fait« , le « mal fait » et le « pas fait« . Poussé à son comble -on laisse la surprise du détail du développement-, ce raisonnement amène à penser que le geste initial du Créateur a consisté à mettre une chaussette rouge dans une boîte jaune. « Qu’en pensent les théologiens?« , s’amuse Filliou. En sortant de cet accrochage à arpenter de façon aléatoire, on ne peut s’empêcher de méditer sur un portrait noir et blanc du maître coincé entre deux piles de livres. Méditer non sans sourire, offrande qui est sans doute la moindre des choses à adresser à cet esprit supérieur.

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MICHEL VERLINDEN

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