Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

BROWN SUGAR – ENTRE BIOPIC ET NATURE WRITING, RICK BASS REMONTE LA PISTE DE L’ARKANSAS PROFOND À LA RECHERCHE DE L’ORIGINE DE LA COUNTRY DES MYTHIQUES BROWN.

DE RICK BASS, ÉDITIONS BOURGOIS, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR ANNE RABINOVITCH, 384 PAGES.

C’est l’histoire d’un son. D’une triple tessiture sauvage et soyeuse sortie du fin fond des bois. Celui des Brown, véritables dieux de la country des années 50, compagnons de route d’Elvis, groupe préféré des Beatles, Johnny Cash et Buddy Holly. Deux s£urs et un frère chanteurs-compositeurs amateurs à la gloire éclair qui mordent la poussière de l’oubli depuis les sixties. Rick Bass, géologue devenu romancier à force d’avoir trop lu Jim Harrison et Thomas McGuane, leur a consacré ses cinq dernières années. De quoi délaisser quelque peu ses traditionnelles odes au Montana pour arpenter un territoire somme toute plus sauvage de son point de vue: le biopic musical.

Twin Peaks

Maxine, Jim Ed et Bonnie Brown sont issus de l’Arkansas miséreux des années 30. Des marais boueux, obscurs et désolés de Poplar Creek, à proximité immédiate du Mississippi. Un patelin dont Rick Bass tapisse son récit, rendant palpables la communauté de bûcherons, la rudesse des saisons, la fumée continue et la tension des moteurs d’une scierie qu’on dirait tout droit sortie du Twin Peaks de Lynch. Intuitivement, pour tromper l’ennui et neutraliser le chaos d’un paternel qui noie dans l’alcool son instabilité caractérisée, les gamins Brown jouent à chercher l’harmonie entre leurs voix rauques. Personne ne leur a jamais rien appris: ils sont en train d’inventer la country. Rick Bass les suit dans leur formidable ascension, des premières sessions à la radio locale au triomphe du top 50. Et pourtant, l’auteur d’ Oil Notes ne se contente pas de souligner des destinées certes hyper romanesques: à la suite d’un Cormac McCarthy, il est convaincu qu’un pays sculpte ses hommes. Une intuition qu’il poursuit en superposant une topographie sensuelle au parcours historique: sous sa plume, qui sait capter comme personne les infimes et souterraines émanations d’une terre, les Brown semblent répondre à l’irrésistible impulsion d’un don d’un autre ordre, quasi chamanique. Une vocation dont Bass souligne chaque fois davantage la distance avec le quotidien d’une famille aux prises avec la post-Dépression, et embourbée dans ses propres prédestinations – » il n’existe rien qui ressemble à une famille tout à fait équilibrée, les harmonies venues de l’intérieur ne peuvent s’accomplir que de courts moments qui s’embrasent dans la mémoire« .

Victimes d’un producteur véreux et d’une déferlante rock’n’roll à laquelle ils ne comprennent déjà plus rien, les Brown entament leur long sacrifice à l’aube des swinging sixties:  » La country achève ses jeunes artistes de la même manière que les nations achèvent les jeunes hommes à la guerre.  » Dans un roman que traverse de part en part la figure du brasier, du feu intérieur qui consume, Rick Bass explore surtout ce point d’incandescence toujours plus insaisissable entre ascension et chute. Et si certaines de ses pages baignent à dessein dans les longueurs et les ressassements de l’amertume, son roman est avant tout un enfilement de purs moments de grâce -scènes de chasse fondatrices, sublime envol de grues du Canada sur le chemin de l’école, enterrement quasi onirique d’Elvis. Histoire de la lancinante dissolution de quelques destinées humaines, de l’anéantissement des temps anciens, le récit est en dernier lieu la chronique de la disparition annoncée d’un son. Elvis l’appelait le « son Brown », l’histoire l’a retenu comme le « Nashville Chrome »; Rick Bass lui offre aujourd’hui un second souffle, un écho littéraire à la corde ultra sensible.

YSALINE PARISIS

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