LE GUITARISTE PAYSAGISTE STEVE GUNN PEINT AVEC EYES ON THE LINES UN SPLENDIDE ALBUM AUX CHARMES URBAINS. LIVING IN AMERICA…

Il a les grands yeux d’un hibou. Ceux, du moins, d’un type qui essaie de faire bonne figure et ne dort pas beaucoup. Steve Gunn n’affiche pas, cependant, le tempérament irritable et irritant des mecs en manque de sommeil. Il est même tout le contraire. Curieux, attentionné, terriblement loquace et passionné… Son nouvel album Eyes on the Lines, le New-Yorkais d’adoption l’a voulu plus direct, plus urbain, que son tournoyant prédécesseur Way out Weather. « Pour moi, l’album est lié au groupe. On a beaucoup tourné. On est devenus de plus en plus bruyants. Je voulais véhiculer cette intensité, proposer un disque qui reflète cette évolution vers le son d’un groupe rock. J’ai réfléchi en termes de paysages. Les paysages ont toujours nourri mes chansons. Cette fois, j’ai voulu refléter une urgence, une ambiance urbaine. On m’a souvent dit que je devais habiter dans une cabane au milieu de nulle part. Désolé de briser le mythe: je suis installé à Brooklyn. Et je voulais pour le coup enregistrer un disque de ville. Mes groupes préférés en sont issus. Le Velvet Underground, Television… Des gens qui mélangeaient les genres et expérimentaient. »

Comme beaucoup de gamins américains, Gunn a commencé son éducation musicale sur une planche à roulettes. En écoutant aux portes aussi. « Celle de la chambre de ma soeur. C’était fin des années 80, début des années 90. The Cure, The Smiths, Echo and The Bunnymen… Elle était également dans des trucs plus punks comme les Misfits. A partir de douze ou treize ans, mes amis et moi, on allait acheter nos cassettes dans un petit magasin de disques. »

Le singer-songwriter, 39 ans depuis peu, semble presque d’un autre temps. « J’étais en contact avec des gamins hardcore de différents coins. On s’appelait, on s’écrivait. C’était drôle. Cette époque me manque. J’achète encore des disques que je reçois par la poste mais je me souviens comme j’étais excité d’aller jusqu’à la boîte aux lettres pour voir si mes potes m’avaient écrit. Comme beaucoup de gens, je me sens un peu perdu dans l’immensité d’Internet et assailli par les informations. »

Grand amateur de jazz (de Miles, de Coltrane), de rock, de musiques improvisées, Gunn a les centres d’intérêt de ceux qu’on qualifie d’intellos. Il passe un temps dingue avec son groupe à éplucher les notes de pochette, à parler du son de leurs albums préférés et de techniques d’enregistrement… « Le Sun Ra Arkestra a été super important pour moi. J’ai terminé mes secondaires et j’ai bougé dans une maison en ville. Une grande bâtisse avec une pièce commune où chacun rangeait ses disques. C’est là que pas mal de portes se sont ouvertes pour moi. Mes colocs avaient des groupes, allaient voir des concerts. L’Arkestra jouait une ou deux fois par mois en ville. La première où je l’ai vu, il m’a vraiment retourné. Je n’avais jamais entendu ni vu un truc pareil. C’était de l’avant-garde et des putains de combattants. J’ai vu plein d’autres choses: David S. Ware, le Art Ensemble of Chicago… »

Les Blank, Tarkovski et les frères Dardenne

Dans son sac traîne avec ses petits calepins dans lesquels il couche paroles et pensées White Noise (Bruit de fond) de Don Delillo. Gunn est un lecteur assidu. « Je lis de la fiction, de la poésie, de la littérature non romanesque. Je me suis mis à beaucoup apprécier un auteur appelé Junot Díaz. Il est du New Jersey mais d’origine dominicaine. Il écrit sur les luttes de la classe moyenne notamment. Je recommande sa collection de nouvelles Drown. Mais aussi Stoner de John Williams, l’un de mes livres préférés. »

Il est pratiquement impossible de lire un article sur Steve Gunn sans qu’y soit mentionné le nom de Kurt Vile et le fait qu’il a appartenu au groupe qui l’accompagne: les Violators. Gunn n’a cependant que très peu joué avec le grand chevelu qui rigole comme Beavis et Butt-Head. « Je me sens mal par rapport à tout ça. Profiter de sa notoriété me gêne. C’est un cool, il s’en fout. Mais cet épisode ne représente qu’une toute petite partie de ma vie. Je n’ai joué qu’un mois dans les Violators et je n’ai jamais travaillé sur un de ses disques. »

Les deux hommes, qui ont récemment sorti un six titres ensemble, viennent du même patelin, Lansdowne, dans les suburbs de Philadelphie. Un environnement urbain, en tout cas pas rural, où vivent quelque 10 000 habitants. « On ne se connaissait pas vraiment mais je savais qui il était. Il vient d’une famille de dix frères et soeurs… » La conversation dévie sur The Wolfpack, le docu dingo sur les enfants d’une famille nombreuse enfermés pendant quatorze ans par leurs parents dans un appartement de Manhattan et qui passaient leurs journées à mater des films et à en tourner des remakes artisanaux. « Une salle de cinéma a ouvert à New York et apparemment un des gamins y déchire les tickets. Je suis très branché ciné. J’ai suivi des études artistiques. Je prenais des cours de musique et j’avais opté pour la vidéo. Des trucs assez expérimentaux. Je composais des soundtracks. J’avais d’ailleurs un cours de BO. Mais j’ai aussi étudié l’histoire du cinéma. J’ai eu une période très ésotérique où je me suis passionné pour Tarkovski. Mes préférés pour l’instant, ce sont ces deux frères belges, les Dardenne. La Promesse est l’un de mes films préférés. Son histoire, son intensité. Le fait qu’il raconte des gens dont on n’entend pas assez parler. »

Gunn est aussi fan de Les Blank, un réalisateur de documentaires sur la musique et la bouffe. « Il a fait un docu sur ce musicien, Leon Russell. Il voyage beaucoup, parle à des gens ordinaires et raconte leurs histoires. » Eloge d’une simplicité à laquelle Gunn n’est finalement pas si étranger.

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