DIX ANS APRÈS COMMUNICATION, L’EX-KRAFTWERK KARL BARTOS CREUSE DANS SES ARCHIVES ÉLECTRONIQUES ET SORT UN NOUVEL ALBUM, OFF THE RECORD.

Dans le salon de l’hôtel Métropole, la sono diffuse une version lounge de Billie Jean. « Toutes les musiques, même celle-ci, ne sont au final que des vibrations dans l’air. Le secret est de réussir à transformer ces vibrations en sentiments… » Karl Bartos sait de quoi il parle. Avec Kraftwerk, il a démontré que même les machines, aussi froides soient-elles, étaient capables d’émotions.

Le groupe allemand, auteur des mythiques Radio-Activity et autres Trans-Europe-Express, donnait encore récemment un concert à la Tate Modern de Londres. Bartos, lui, a pris le large dès les années 90. Ses obsessions électroniques sont cependant restées les mêmes. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter son nouvel album, Off the Record, le premier depuis Communication, sorti il y a… dix ans d’ici! « C’est la maison de disques qui m’a demandé si je n’avais pas des anciennes bandes à la cave susceptibles d’être publiées. On n’a pas sorti tellement de disques. Du coup, j’ai énormément d’enregistrements qui n’ont jamais été diffusés. » Au départ, le label veut sortir les morceaux tels quels. Mais Bartos rechigne. « Finalement, j’en suis arrivé à transférer tous mes fichiers, cassettes, bandes, etc. dans l’ordinateur. Quand tout était intégré, je me suis aperçu que les morceaux avaient un ordre assez logique, chronologique. Comme une sorte de journal intime acoustique. C’est ce concept de journal qui a donné la cohérence au tout. »

Electronique, Off the Record serait donc aussi autobiographique. Une sorte de conversation homme-machine au cours de laquelle Karl Bartos livrerait un peu de son parcours personnel. Hausmusik, par exemple. « Ce morceau part d’un souvenir. J’étais encore un gamin, à Berchtesgaden. Je revois ma mère et mon oncle, lors d’une fête de famille. Lui en train de jouer de la musique sur une sorte de cithare, elle chantant dans un dialecte bavarois. Je me rappelle encore de cette soirée comme de la première fois où la musique m’a touché au plus profond. C’était tellement beau et authentique.  »

Ultime atome

Off the Record démarre cependant ailleurs. Dans la capitale de l’Europe. Plus précisément, au pied de l’un de ses monuments les plus fameux (et bizarres à la fois): l’Atomium. Bartos explique la genèse du morceau. « Je voulais réaliser une vidéo pour accompagner TV (un morceau de 1993, ndlr) lors des concerts. L’idée était d’illustrer chaque couplet avec un bâtiment emblématique de l’Europe: Buckingham Palace, la tour Eiffel, la porte de Brandebourg… Je devais forcément intégrer l’Atomium! Je suis donc allé sur place et j’ai acheté les deux DVD de présentation. Quand je les ai regardés, c’était comme si on m’avait demandé d’en faire la musique. Je devais écrire un morceau! » Mission accomplie de magistrale (et angoissante) manière, Bartos s’inspirant aussi bien du Sacre du printemps de Stravinsky que de la B.O. de Fahrenheit 451 composée par Bernard Herrmann… Le monument permet du coup aussi d’interroger le bonhomme sur son rapport à la technologie. Après tout, il est loin le temps où l’atome représentait la clé du progrès. L’Atomium étant devenu davantage un souvenir vintage de l’Expo 58, reliquat de la Belgique de papa, que le symbole de la toute-puissance scientifique. « Quand j’ai eu l’idée de cette chanson, est arrivé le drame de Fukushima. Tout semblait prendre sens. Atomium est une manière de montrer la montée et la chute de cette croyance en la puissance atomique. Personnellement, je crois fermement qu’à terme nous devrons fermer toutes les usines nucléaires. En Allemagne, on a commencé. Mais le reste suivra. Il n’y a pas d’alternative. Il faut trouver d’autres sources d’énergie. »

Ces dernières années, Karl Bartos a créé une application de composition aléatoire pour iPhone, enseigné à l’université à Berlin, composé le nouveau disque. Durant ces dix ans, il a multiplié les pistes. Sauf une: celle de rejoindre les camarades de Kraftwerk. Sur Without a Trace of Emotion, il chante: « I’m on my way – got the world at my feet/But I wish I could remix my life to another beat. » « On a qu’une vie. Je ne peux pas savoir ce qu’elle aurait été si j’avais pris une autre direction…Vous savez, l’image de mon groupe précédent (sic) est un peu devenue bigger than life. Parfois c’est sympa. Mais cela peut vite devenir aussi étouffant. Je n’aime pas être coincé, je ne veux pas être défini. Je préfère rester ambivalent. » Soit le contraire d’une machine. Il rigole: « C’est vrai! Que puis-je faire? »

Quelques minutes plus tard, la boutade de Bartos n’en devient que plus cocasse. Alors que l’on repart, la sono de l’hôtel continue de débiter sa musique d’ascenseur, faisant un sort à… The Model.

KARL BARTOS, OFF THE RECORD, DISTR. BUREAU B.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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