Le trio anglais revient à la charge. The Resistance enfonce un peu plus le clou d’un rock épique et volontiers pompier. Explications avec l’ami Bellamy.

On adore donner des concerts dans les stades. C’est une expérience incroyable. Moi-même, j’ai vu récemment Depeche Mode à San Siro (Milan). Je regardais la foule, c’était presque un spectacle en soi, aussi passionnant que le groupe. » C’est Dominic Howard qui parle, d’habitude derrière la batterie de ce qui est en effet devenu un des groupes de stade les plus importants au monde. Muse, en l’occurrence, à peine 3 à bord d’une affaire qui roule au super. Les Anglais n’ont pas le crédit arty d’un groupe comme Radiohead, à qui on les a longtemps comparés? Peu importe, le trio a tracé sa propre route. Sorti ces jours-ci, The Resistance, cinquième album studio en 10 ans (!), fait bien mine de chercher ailleurs: chez Queen, comme souvent ( Resistance, United States of Eurasia), Depeche Mode ( Undisclosed Desires), QOTSA ( Unatural Selection), se permettant même un morceau épique en 3 parties ( Exogenesis). N’empêche: jamais peut-être Muse n’avait semblé aussi conscient de ses forces (le lyrisme) et faiblesses (le pompier). Ce qui, au bout du compte, est plutôt une bonne nouvelle. On en a discuté avec Matthew Bellamy, chanteur/guitariste/pianiste/leader du groupe.

Vous avez toujours dit que l’inconfort et le danger étaient nécessaires pour créer. Où les trouver quand on joue dans un groupe qui connaît un tel succès?

Il suffit de se tourner vers l’extérieur. Par exemple, il existe aujourd’hui en Angleterre une sorte de friction entre d’un côté le peuple, et de l’autre l’Etat représenté par le gouvernement, la police, l’armée… Et cette division s’est accentuée, notamment avec la crise économique, le récent scandale des députés ( nombreux à avoir abusé des notes de frais, ndlr)… Les gens en ont marre. Pas seulement du parti travailliste au pouvoir actuellement, mais de la manière dont fonctionne la politique en général. Je pense qu’il existe aujourd’hui une volonté de changement, pour modifier le système parlementaire. Je suis moi-même surpris du poids que cela peut avoir chez moi. Peut-être que le fait de vivre actuellement en Italie fait que l’Angleterre me manque, et rend ma perception de tous ces événements plus aiguë.

L’album est intitulé The Resistance. Contre quoi?

A une plus grande échelle, la domination des multinationales n’a cessé de grandir depuis les années 70. Aujourd’hui, elles ont entre leurs mains un pouvoir gigantesque. Avec le lot d’exploitations que cela comporte. Mais là aussi, une résistance se met petit à petit en place contre cette manière de vivre, contre cette idée que la seule façon d’être heureux est de faire de l’argent. Les gens sont fatigués de ça.

Le rock est-il toujours un bon véhicule pour la rébellion?

Pour moi, certainement. C’est la méthode que j’ai choisie pour m’exprimer… Mais vous savez, je préfère que les gens écoutent la musique plutôt que moi ( rires). Parce que je pense que la musique est plus pure. Il est très difficile de verbaliser ce que vous essayez de faire avec la musique. C’est toujours le problème avec les interviews. Il faut être très prudent. Je ne voudrais pas que les gens me jugent sur ce que je suis en train de dire pour l’instant. Je préférerais qu’ils me jugent sur ce que raconte la musique.

Mais la musique est-elle toujours un moyen de contestation?

Le rock devrait l’être. On vit dans une drôle d’époque. Musicalement aussi. Dans les années 60, 70, les médias acceptaient la rébellion dans la musique, ou en tout cas la permettaient. Aujourd’hui, les compagnies qui possèdent les stations radio, télé, ne la permettent plus. Il y a des tas d’artistes qui expriment, d’une manière ou d’une autre, leur insatisfaction envers le système. Mais ce genre de discours n’atteindra jamais la conscience du grand public. Parce que pour faire partie de la culture populaire, vous devez faire profil bas. Rester discret est le prix à payer pour être populaire. Je suis d’ailleurs surpris qu’on ait autant de succès ( rires).

Au-delà de l’aspect politique, il y a clairement une dimension d’évasion chez Muse, non?

Oui, et dans The Resistance, on peut aussi y voir tout simplement une histoire d’amour. C’est même presque plus important que la dimension politique du disque. En cela, l’album est comme une sorte de miniature de 1984 d’Orwell, qui est aussi une histoire d’amour avec une toile de fond politique. A force de devoir constater à quel point les choses sont difficiles à changer, il y a cette tendance à vouloir se replier sur votre couple, vos amis, vous recentrer sur votre propre petit monde. Parce qu’à regarder la situation plus générale, on peut être facilement terrassé. Il y a trop de défis à relever.

A la musique rock, née en Amérique, Muse a toujours mélangé l’un ou l’autre élément de la musique classique européenne. Cela reste une forte influence?

On essaie de combiner les deux en effet. On aime l’énergie et l’excitation du rock. Mais on tient également à l’histoire de la musique européenne, qu’elle soit classique ou folk. Elle a connu de telles évolutions, certaines musiques ont impliqué de tels niveaux d’intelligence, de complexité… C’est important de ne pas laisser ça de côté.

Présenté comme une mini symphonie, Exogenesis est découpé en 3 morceaux. Comment est née l’idée?

Cela faisait un petit temps que des bouts de morceaux épars existaient. Je les jouais au piano, mais sans jamais avoir trouvé le moyen de les intégrer dans l’univers de Muse. En bossant sur ce disque, des idées de batterie ou des parties de basse sont arrivées sur la table et qui avaient l’air de coller. On s’est alors décidé à tenter le coup. C’est un pari, plutôt risqué. Mais je me suis dit qu’à notre cinquième album, on pouvait bien essayer quelque chose ( rires)…

Vous avez déclaré que la perception d’un disque de Muse varie fort selon le contexte dans lequel on l’écoute, que ce soit à la radio après un morceau des Strokes ou à bord d’un avion en train de se crasher. Où écouter The Resistance?

Hmmm, je ne sais pas, c’est difficile de répondre… Mais j’imagine que si vous l’écoutez en regardant les nouvelles, cela peut fonctionner. C’est une bonne B.O. pour le JT de 20h!

Muse, The Resistance, Warner.

En concert, complet, le 2/11, au Sportpaleis d’Anvers.

Entretien Laurent Hoebrechts, à Amsterdam

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