HERVÉ HADMAR, L’UN DES SCÉNARISTES ET RÉALISATEURS LES PLUS INSPIRÉS DE LA SÉRIE À LA FRANÇAISE, ÉTAIT DE PASSAGE À BRUXELLES POUR UN TOURNAGE.

Lunch collectif à base de quinoa dans l’un des phares bobos de la capitale. Hervé Hadmar, à qui l’on doit notamment Pigalle, la nuit ou Les Témoins, s’apprête à aller rejoindre Veerle Baetens. L’héroïne du Broken Circle Breakdown de Felix Van Groeningen mène en effet le casting d’Au-delà des murs, nouvelle fiction fantastique co-écrite par Hadmar (avec son habituel complice Marc Herpoux) et diffusée dans quelques mois sur Arte. Le tournage, cet après-midi-là, a lieu dans un théâtre aussi majestueux qu’abandonné du parvis de Saint-Gilles. On y reviendra en long et en large dans ces pages au moment de la diffusion. En attendant, petite discussion avec le réalisateur et scénariste français, qui vient de signer avec les producteurs de Downton Abbey pour le développement d’un projet anglais. Au menu: créativité, financement et récurrence dans le monde de la série hexagonale.

Fait étonnant pour une série française, la deuxième saison du Bureau des Légendes d’Eric Rochant était déjà en cours d’écriture pendant la diffusion de la première, sur Canal +. Est-ce qu’on passe enfin à la vitesse supérieure en France?

Je n’ai pas tout vu. Mais il y a en effet une prise de conscience collective, au niveau des diffuseurs, des producteurs, des auteurs et des créatifs sur l’idée de pouvoir faire des séries au long cours, de pouvoir livrer huit ou dix épisodes par an. Mais c’est très compliqué… Moi, mon modèle n’est pas américain: on ne doit pas essayer d’arriver à ça. Mon modèle est britannique ou scandinave. Est-ce qu’on fait une saison de Brön ou de The Killing chaque année? Pas sûr. Il faut arrêter de fantasmer. Je suis pour la série d’auteur, c’est-à-dire pour qu’il n’y ait qu’une ou deux personnes à l’écriture et à la réalisation. Et dans ce modèle-là, vous ne pouvez pas livrer douze épisodes par an à deux, c’est impossible. Cela dit, je suis évidemment aussi pour l’industrialisation de la série, les ateliers d’écriture, etc.

Dans un rapport à une série, c’est important de ne pas faire attendre trop longtemps entre les saisons, sinon on perd en investissement affectif, non?

Evidemment, c’est essentiel. Il faut absolument que le public puisse retrouver ses personnages préférés, ses situations préférées après dix mois, douze mois, 18 mois maxi. Après… Moi, c’est pour ça que je suis plutôt dans la mini-série d’auteur, avec six ou huit épisodes. J’aime bien les one-shots, l’idée de passer d’une aventure à une autre. Personnellement, revenir tous les ans, je m’en fous un peu. Je préfère prendre un an et demi ou deux ans, et faire le mieux possible. Le mode de vision des séries change tellement… On se fait des shoots de Mr Robot, de True Detective. C’est shoot après shoot, alors qu’avant, avec une série comme Lost, vous étiez parti pour six mois. La série, c’est une forme vivante, on ne doit pas s’imposer un modèle.

La relative déception de True Detective, saison deux, va dans ce sens…

Comment vous voulez faire un True Detective tous les ans? Cary Fukunaga, qui a réalisé les huit épisodes de la saison 1, en est sorti complètement épuisé, à la limite du nervous breakdown (sic). C’était compliqué avec Nic Pizzolatto, le showrunner, c’est pour ça qu’il n’a pas continué. C’est vrai que même si j’aime bien la saison 2 (l’entretien a eu lieu juste après la diffusion de l’épisode 5, ndlr), et que ça reste mieux que 90 % de ce qui se fait, ça n’a rien à voir avec la première.

En voyant Le Bureau des Légendes, je me suis dit qu’on passait un palier dans la série française, parce que les dix épisodes apportaient vraiment quelque chose, selon un dispositif réellement cohérent. Une gageure, sachant qu’il y a dix ans encore les séries françaises étaient indécentes?

Jusqu’il y a dix ans oui, mais pas il y a 30 ans, avec L’île aux 30 cercueils, La Poupée sanglante, Vidocq… Evidemment, aujourd’hui, c’est irregardable. Mais à l’époque, c’était sur un pied d’égalité avec Les Mystères de l’Ouest, Mission impossible ou Kung-Fu. C’est conjoncturel, c’est juste lié à l’histoire de la télévision française versus l’histoire de la télévision américaine. Si Les Sopranos ou The Wire ont existé, c’est parce que la télévision américaine était en crise, et qu’il y a des acteurs qui ont décidé de rentrer dans le jeu et de faire des choses qu’on ne voyait pas ailleurs. Mais sans cette politique-là, ça ne se faisait pas. Or, la situation de la télévision française dans les années 80, 90 était différente, vous mettiez n’importe quoi à l’antenne et ça marchait, personne n’avait le besoin de révolutionner quoi que ce soit. Aujourd’hui, l’envie des diffuseurs de se faire remarquer et de faire des choses différentes est là et est nécessaire. Parce que pour exister aujourd’hui, il faut marquer sa différence.

D’où l’audace d’Arte par exemple, notamment dans le projet qui vous occupe aujourd’hui…

D’où l’audace d’Arte, de Canal, ou même de France Télévisions, qui essaie un peu de bouger les lignes. Ces chaînes savent que sans cela, elles vont mourir. Quand vous êtes un téléspectateur et que vous avez la possibilité de regarder Netflix, Amazon, Hulu, vous faites quoi? Le pseudo âge d’or est uniquement lié à ça, à un morcellement de l’audience qui a obligé certains acteurs à prendre des risques.

« Pseudo âge d’or »: vous êtes un peu dur, non?

Non, c’est un âge d’or, mais c’est un âge d’or parce que les gens qui ont de l’argent ont besoin de marquer leur différence. Ils n’ont pas tout d’un coup eu envie de donner le pouvoir aux créatifs. Et le résultat, c’est ça, il faut que ça soit ça, parce que c’est la seule solution pour arriver quelque part.

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