DANS L’INTIMISTE ET POIGNANT RABBIT HOLE DE JOHN CAMERON MITCHELL, NICOLE KIDMAN PLEURE LA MORT DE SON FILS. OU QUAND LE CINÉMA FAIT SON DEUIL…

Pratiquement absente des écrans ces 2 dernières années où on ne l’a vue que dans Nine, comédie musicale de Rob Marshall qui se prenait les pieds dans le tapis, Nicole Kidman revient sur le devant de la scène et enchaîne 3 sorties d’ici l’été. La plus intéressante (la seule même sans doute), c’est Rabbit Hole, titre d’une pièce de théâtre ayant décroché le Pulitzer en 2007, qui parle moins de ceux qui partent que de ceux qui restent. Spontanée et bavarde, à la fois simple et sophistiquée, l’Australienne raconte.

Comment s’inscrit ce film sur le deuil d’un enfant dans votre filmographie et plus largement dans votre vie?

Professionnellement, j’ai connu des hauts et des bas. J’ai eu une carrière très erratique. Tout sauf stable. Aujourd’hui, je peux néanmoins me consacrer à des projets qui me correspondent. Rabbit Hole, je l’ai produit. Ça nous a pris 4 ans. Ça a été long. Il a fallu partir à la recherche de financement. Mais mon partenaire et moi avons tout fait pour que ce projet puisse voir le jour et ça a finalement été le cas avec un budget de 3 millions et demi de dollars. Ce que j’aime dans ce film, c’est qu’il est vrai. Brutalement vrai. Je pense que 80 % des mariages ne survivent pas à la mort d’un enfant. Ce couple se bat pour continuer à exister. Il essaie de ne pas se désunir. Becca et Howie veulent continuer à vivre ensemble mais ils ne savent pas comment. Ils ne savent même pas si ce sera possible. J’aime énormément la vision très balancée avec laquelle David Lindsay-Abaire (auteur et scénariste) présente le deuil. Certains cherchent leur salut dans la religion, d’autres dans la science. D’autres encore ont besoin des 2. Mon personnage doit trouver lui-même comment surmonter cette terrible épreuve. Il doit se chercher une nouvelle manière d’exister, de composer avec cette douleur jusqu’à la fin de sa vie.

Pourquoi avoir confié la réalisation à John Cameron Mitchell? Ses 2 films, Hedwig and the angry inch et Shortbus, sont plutôt olé olé.

C’est mon instinct. Je n’aime pas étiqueter les gens. Je sais ce que c’est, on s’est souvent fait des idées à mon sujet. Si tu es un artiste et que tu as du talent, tu peux et tu veux te diversifier. Je ne me suis pas tout de suite dit: ah, il faut que je convainque John Cameron Mitchell. Mais quand j’ai entendu qu’il lisait le scénario, j’ai trouvé l’idée fantastique. Parce que, je le savais, il pourrait être formidable avec une pareille histoire. Il n’a pas froid aux yeux. Il est audacieux. Il a du c£ur. Et si ce récit est mesuré, il se devait aussi d’avoir des tripes. Des émotions qui vibrent sous la surface. De la passion, de la férocité. Dans le cas contraire, il aurait été ennuyeux. John est quelqu’un de très gentil mais il est aussi très cru, très brut. C’est inhabituel mais très agréable en tant qu’acteur. Je suis très curieuse de ce qu’il va faire par la suite parce que je n’en ai pas la moindre idée. Dans l’industrie du cinéma telle qu’on la connaît aujourd’hui, on a très peu de gens comme lui.

Comment avez-vous préparé ce film? Aaron Eckhart, qui joue votre mari dans le film, s’est notamment rendu en thérapie de groupe.

J’ai lu sur le chagrin. Puis, j’ai essayé de participer à ce genre de séance. Et ils m’ont dit:  » tu ne peux pas venir. Désolé. Tu ne peux pas entrer dans cette pièce si tu n’as pas perdu un enfant. » Je me suis sentie mal à l’aise ne serait-ce que d’avoir demandé. Je me serais aventurée sur un territoire où je ne devais pas me trouver. En même temps, quand tu as ne serait-ce qu’une fois été mère dans ta vie, tu sais facilement imaginer ce que signifierait qu’on te reprenne ton enfant. Je n’ai pas vécu pareil malheur mais j’ai la quarantaine et je suis maman pour la 2e fois ( avec l’aide d’une mère porteuse, ndlr). Ce qui, je pensais, n’arriverait plus. J’ai toujours été capable d’entrer dans la tête des gens. Quand j’avais 5 ou 6 ans, mes parents me racontaient des histoires et je pouvais me projeter dans leurs récits. En faire partie. Je ne sais pas l’expliquer. J’imagine que la plupart des acteurs ressentent la même chose. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles je lisais beaucoup étant gamine. En même temps, c’est assez effrayant. Heureusement, je vis avec un artiste. Keith ( Urban, chanteur country, ndlr) écrit, crée. Il me comprend et peut m’aider à la maison. Parce qu’une bonne partie du processus commence la nuit, quand je dors. Je me suis plusieurs fois réveillée en sanglots pendant le tournage de Rabbit Hole. C’est vraiment perturbant. Ça s’insinue dans tes rêves, tes cauchemars. Ça fait du bien d’avoir quelqu’un pour te consoler, t’aider et t’encourager.

Avez-vous visionné beaucoup de films qui traitaient du deuil?

Je n’ai pas regardé La Chambre du fils dont j’ai entendu le plus grand bien. Mais j’ai vu des films qui abordaient le sujet différemment. Je pense au Choix de Sophie d’Alan Pakula avec Meryl Streep. La scène avec ses enfants ( elle doit choisir entre sauver son fils ou sa fille, ndlr) est un des trucs les plus horribles qu’on puisse me faire regarder. Quand je la vois, je m’effondre.

Un peu plus tard cette année, sortira Trespass, un film de Joel Schumacher où vous partagez l’affiche avec Nicolas Cage. C’est le même boulot, Rabbit Hole et un projet hollywoodien?

Pas vraiment non. D’autant que je ne le produisais pas… Mais pour moi un Trespass, en tant qu’actrice, ce n’est pas plus simple. C’est même plus compliqué. Ça faisait tellement de temps que je voulais voir aboutir le projet Rabbit Hole et que j’y travaillais que quand on a commencé à tourner, tout s’est révélé assez facile. Il est plus dur de monter dans un train en marche. De bosser avec le matériel de quelqu’un d’autre qui doit orchestrer une équipe pour arriver à ce qu’il désire. Dans Le Mytho, avec Adam Sandler, je joue la comédie. Un domaine dans lequel je ne me sens pas particulièrement à l’aise et en confiance. Quand je vois Adam avec Jen (Jennifer Aniston) tourner des scènes comiques pratiquement en improvisant, je crie au secours. J’aime rire. J’espère être drôle… l

ENTRETIEN JULIEN BROQUET, À LOS ANGELES

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