Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

AVEC SON 3E ALBUM, HOW TO DRESS WELL RÉUSSIT UN PETIT BIJOU SOMBRE DE POP-R’N’B ALTERNATIF. OÙ IL EST QUESTION DE MARIAH CAREY ET DES FRÈRES DARDENNE…

How To Dress Well

« What Is This Heart? »

POP. DISTRIBUÉ PAR WEIRD WORLD.

8

On ne peut pas dire que Tom Krell a vraiment la tête de l’emploi. Un chanteur de r’n’b, lui? Grand échalas binoclard, l’Américain correspondrait davantage au profil geek électro, rockeur indie à la limite. Seulement voilà, nous sommes en 2014. Et le grand mix, le floutage des frontières, c’est maintenant. Dans son panthéon personnel, Krell se permet donc de citer aussi bien le musicien électronique expérimental Oneohtrix Point Never ou Xiu Xiu que… Mariah Carey. En 2010, il sortait un premier album, Love Remains, qui n’était en effet pas loin d’établir un pont entre les deux univers, aussi improbable que cela puisse paraître. Tout à coup, le r’n’b, ce genre mielleux honni par le bon goût officiel, devenait branché. Krell n’étant pas le seul à pervertir le genre -The Weeknd, Frank Ocean, Miguel, Toro Y Moy…-, certains se sont même mis à parler de r’n’b indie ou encore de PBR&B, référence à la Pabst Blue Ribbon, marque de bière US associée aux hipsters. Alleluia, les fans de Usher ou Aaliyah ne sont désormais plus obligés de se cacher…

Avec son 3e album, What Is This Heart?, Krell balaie les derniers freins. Il y a en effet de fortes chances pour que vous n’entendiez pas cette année de disque plus ouvertement « sensible », à fleur de peau, au point d’en devenir parfois embarrassant, assumant son crooning angoissé de bout en bout. « A force de chanter des chansons tristes, vous avez parfois envie de vous excuser pour ça. Du coup, quand le feedback est positif comme sur la dernière tournée, c’est rassurant. Cela pousse à aller de l’avant et oser faire les disques que vous avez dans le ventre. »

En l’occurrence, le nouveau commence avec 2 Years On, morceau squelettique -quelques notes de piano dissonantes suivies d’accords de guitare presque folk à la Bon Iver. « Pour accéder au côté le plus pop du disque, vous devez passer par cette partie, la plus vulnérable humainement. C’est une sorte de porte d’entrée obligatoire, comme les philosophes grecs qui conditionnaient leur enseignement à la connaissance des mathématiques (sourire). Il ne faudrait pas que les gens pensent que ce n’est pas un disque exigeant. » Le côté pop de la force, Krell le pratique par exemple avec Words I Don’t Remember, Precious Love, ou surtout Repeat Pleasure (Phoenix qui rencontre Hall&Oates). Sur See You Fall, il cite le Heroin du Velvet Underground. Mais c’est bien sur Face Again que le r’n’b d’How To Dress Well se fait le plus oppressant, lorgnant vers les ambiances urbaines et nocturnes d’un Burial.

Disque à la fois sombre et accueillant, What Is This Heart? frappe surtout par son envie de sincérité, le sérieux qu’il met à vouloir sonner juste et vrai -un peu à l’image de la pochette, frontale dans sa rêverie. Derrière le chant maniéré typiquement r’n’b de Krell, il y a en effet de l’angoisse, du désespoir, des déchirements, et l’idée que le dévoilement ne peut que mener à l’universel. Et donc au politique. Le morceau Pour Cyril fait référence par exemple au personnage principal du Gamin au vélo des frères Dardenne. « Je veux faire une musique qui donne une voix aux affects les plus intimes, ceux qui supportent les choses les plus importantes de la vie. » How To Dress Well, cette palme d’or…

LAURENT HOEBRECHTS

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