Avant Mouret, d’autres se sont mis en images, alternant les simples apparitions et les journaux filmés.

La première chose que l’on remarque à l’écran, c’est lui. Ou plutôt non, justement. Acteur inlassable de chacun de ses films depuis Laissons Lucie Faire!, Emmanuel Mouret se fait, dans Un baiser s’il vous plaît, quelque peu attendre. Pas bien longtemps, certes, mais suffisamment pour que l’on s’en inquiète. Avant de retrouver, rassuré, le personnage récurrent qui habite l’ensemble de sa production. Mouret n’a certes pas le monopole de cette tentation narcissique – laquelle est par ailleurs assortie chez lui d’une solide dose d’humour et d’esprit. Son caractère systématique en fait toutefois un élément assez particulier, encore que point inédit. L’auto-représentation compte de facto parmi les formes largement explorées par le septième art avec, toutefois, des degrés divers d’égotisme. Hitchcock signant chacun de ses films d’une fugace apparition, et l’on parlera plutôt de clin d’oeil ludique (ayant du reste contribué à sa notoriété). Tout autre apparaît, par exemple, la condition d’un Nanni Moretti filmant, en 1994, son Caro Diaro en un exercice sensiblement plus nombriliste, encore qu’il y ait eu, dans ce journal intime, matière à partager – quel spectateur n’est-il pas monté en compagnie du cinéaste sur sa Vespa? Si la mise en scène opère bel et bien à la première personne, c’est pour embrasser un horizon plus vaste. Ce qui peut d’ailleurs valoir également pour certains auto-portraits filmés, encore que ceux-ci soient généralement d’un abord plus hermétique: lorsqu’une Chantal Akerman livre, par exemple, une pièce de son auto-portrait dans Là-bas, le dispo- sitif, dans sa rigueur, déborde vers d’autres questionnements.

La mécanique subtile imaginée par Emmanuel Mouret est toutefois d’un ressort différent, dès lors que le cinéaste incarne dans ses films un double de fiction. Perméable, sans aucun doute, à ses angoisses et obsessions, mais sans intention affirmée de partager un journal intime.

MOI, MON DOUBLE DE FICTION On est là sur un terrain voisin de celui qu’arpente un Woody Allen, le cinéaste américain n’en finissant plus d’habiter, depuis une quarantaine d’années, ses fictions, les nourrissant au passage de son expérience personnelle. Un terreau particulièrement fertile, qui a déterminé une oeuvre forcément singulière mais résonant, paradoxalement, sur le monde.

Enfin, et quoique cette inspiration soit sans doute plus diffuse, comment ne pas faire de Mouret l’héritier de ce pan entier de l’histoire du cinéma où règne en maître l’auto-représentation, à savoir le burlesque? Buster Keaton ou Charles Chaplin aux temps héroïques; Jacques Tati ou Jerry Lewis ensuite, et jusqu’à un Pierre Richard jouant Le distrait à une époque plus récente, il y a là des exemples à foison d’auteurs s’étant mis en scène. Le poète rejoint alors bien souvent Narcisse – dimension dont l’on fera volontiers crédit à un Mouret que ses allures funambules inscrivent hors du temps. Certains n’ont-ils d’ailleurs pas deviné en lui un croisement entre Jean-Pierre Léaud et Peter Sellers?

JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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