Mindhunter

© PRIEST

Détraquant la machine à remonter le temps, Nina Allan fait bouger les lignes. La réalité dérobée sous ses pieds, le lecteur est libre de vagabonder.

« Papa nous emmenait aux courses de lévriers tous les week-ends quand on était mômes. C’était la seule chose qu’il faisait toujours avec nous, sans faute, notre réunion de famille. » Autrefois station balnéaire du temps de sa splendeur, Sapphire, ville gazière du sud de l’Angleterre, a été ruinée par la pollution chimique après le boom du gaz de schiste. La cité vivote désormais en attirant les touristes d’un jour se pressant aux courses de lévriers transgéniques. Del Hoolman est manager de smartdogs. Produit d’expériences illégales dans la recherche sur les cellules souches, ces chiens augmentés entrent en symbiose avec leur pisteur, dresseur à qui on a implanté une puce dans le cerveau. « On dit qu’un lévrier et son pisteur sont comme une citerne pleine d’eau qui se trouve divisée en deux compartiments séparés. » À deux semaines du Delawar Triple, plus important événement du calendrier cynophile, Luzz Maree, petite fille de Del, est victime d’un enlèvement. Compromis dans un trafic, le sulfureux manager doit tout rembourser pour espérer la récupérer. Solution: remporter la course avec son meilleur lévrier… Mais qu’est-il arrivé exactement à Maree? Et quel est le don particulier qui rend l’enfant si précieuse pour ses ravisseurs? Nina Allan mène au pas de course son intrigue et entraîne son lecteur haletant au rythme du rapide tap-tap où les mots impriment la page. On mise déjà un billet sur un efficace thriller à la sauce SF quand soudain…

Mindhunter

Stranger Things

« Sapphire s’est révélée à moi progressivement -ville à l’intérieur d’une ville, nichée dans les ombres de ma cité natale comme la vérité dissimulée au sein d’une apparence extérieure. » Deux recueils de nouvelles (Complications, Stardust) ont suffi pour propulser Nina Allan, 51 ans, comme « la nouvelle Joyce Carol Oates ». Pour tisser la toile de ce qui est son premier roman, la Britannique s’appuie sur son art consommé de nouvelliste et un sens tout particulier du fantastique basé sur l’altérité. L’auteure laisse à ses personnages le soin de se réinventer, ouvrant des failles spatio-temporelles pour se jouer des trames du récit. Coïncidences insolites, sensations de déjà-vu, glissements de réalités: la machine à remonter le temps s’emballe au travers d’un écheveau de décalages subtils, où le lecteur est libre de vagabonder. On se garde de trop en dire mais on s’est plu à épouser la métaphore suggérée par le texte selon laquelle, s’appuyant sur leurs échanges mentaux respectifs, le lecteur deviendrait le smartdog et l’écrivain le pisteur.« (…) Elle me retourna mon regard depuis le miroir, et à l’instant où nos yeux se rencontrèrent je compris qu’elle le savait aussi. » Bouleversant la physionomie des lieux, entrelaçant des pans d’univers en suspens, exposant les doublures, Nina Allan interroge la naissance d’une vocation. Qu’est-ce que vivre en littérature, comment devient-on écrivain? « C’est comme si je vivais à l’intérieur du récit. » On pensait avoir affaire à un Breaking Bad à la mode science-fiction, on découvre l’équivalent d’un Westworld qui aurait réussi sa traversée du miroir, où résonne l’écho d’une réplique sismique émotionnelle.

La Course

De Nina Allan, ÉDITIONS Tristram, Traduit de l’anglais par Bernard Sigaud, 448 pages.

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