La capitale anglaise a profondément changé ces dernières années. C’est en tout cas le constat de Nitin Sawhney, qui avec son dernier album, London Undersound, dépeint une ville à cran.

J ‘adore cette ville, elle est incroyable. Sa diversité me fascine. Malheureusement, c’est quelque chose qui est de plus en plus miné.  » Nitin Sawhney est remonté. Dans cet hôtel d’Amsterdam, il a beau enchaîner les interviews, sa verve ne baisse pas d’intensité. Né en Angleterre (Rochester, 1964), de parents indiens, il a symbolisé la vague Asian underground qui a pu percoler un temps sur la pop britannique. En 1999, son quatrième album, Beyond the Skin, sera même nominé au prestigieux Mercury Prize. Il s’agissait déjà d’une fusion entre des éléments électroniques, des tablas asiatiques, des mélodies pop, voire des accents jazz ou classiques. Normal pour celui qui a étudié aussi bien le piano que le sitar, le flamenco que la guitare classique.

Avec London Undersound, son huitième opus, Sawhney garde le cap, en conviant une série d’invités à chanter (des Espagnols d’Ojos de Brujo à Paul McCartney!). Avec une idée en tête:  » Il s’agissait d’explorer la conscience collective de ce qu’est Londres, après tout ce qui s’est passé ces dernières années. La ville a perdu quelque chose. J’ai essayé de capturer ça. » Le premier titre du disque, Days of Fire, est ainsi chanté par Natty, un ami de Sawhney qui était là lorsque l’une des quatre bombes des attentats a explosé dans un bus à double étage, le 7 juillet 2005. Quelques jours plus tard, il est également dans le coin quand le Brésilien Jean-Charles de Menezes, pris pour un terroriste par la police, se fait abattre dans le métro.  » La ville a perdu une certaine innocence. Jusqu’en 2000, il y avait un intérêt pour les autres cultures, asiatiques notamment. Après 2001, cela a diminué. Et après les attentats du 07/07, tout s’est écroulé. J’ai senti cette peur s’installer. Londres est plus cosmopolite que jamais, mais cela engendre aussi des tensions. Les libertés civiles ont fort évolué, par exemple. Il y a des caméras à chaque coin de rue. C’est une situation à la Big Brother. On ne peut plus manifester à moins d’un mile du Parlement. Maya Anne Evans a été condamnée pour cela, parce qu’elle lisait à haute voix la liste des noms des soldats britanniques morts en Irak. L’idée de démocratie devient de plus en plus une illusion. »

On peut entendre ce discours chez pas mal d’artistes anglais. Par contre, peu sont prêts à le porter en étendard. En 2002, certains s’étaient bien mobilisés contre la guerre ( voir plus loin).  » Mais il s’agit de la vieille garde, écrivait alors le rédacteur en chef du NME, la bible musicale hebdomadaire anglaise. Les jeunes groupes sont plus intéressés à redécouvrir les excès du rock’n’roll qu’à livrer des points de vue politique. » Sawhney abonde:  » C’est comme quand on vous affirme que la musique et la politique ne vont pas ensemble! Mais bon sang, qu’ont fait des gens comme Public Enemy, NWA, John Lennon, Bob Dylan…? Il y a toute une histoire au-tour de cette relation entre l’art et la politique. Pour moi, la musique n’est pas une manière de s’échapper mais de s’engager, avec des idées, des interrogations, des émotions. Le but n’est pas d’être forcément frontal, mais de relever certaines questions. D’éviter le prêche, mais d’éveiller des sentiments. »

Un homme en colère

Parmi les interludes qui ponctuent le disque, il est possible d’entendre la voix de Ronald Gray, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, rencontré par Sawhney peu avant son décès.  » Il a servi au front pendant 18 mois contre Hitler. Il me parlait de la guerre en Irak, qu’il estimait injuste. Des gens meurent tous les jours là-bas pour le pétrole. Et je paie pour ça! Mes impôts ont financé cette invasion, ces massacres, pour permettre à la famille Bush de se remplir les poches.  » Cette colère, on l’entend finalement peu dans London Undersound. C’est la qualité comme le défaut d’un disque par moment trop feutré, voire sensible.  » Je voulais faire un album libéré et détendu. Or, comme toutes ces questions sont des sujets très intenses pour moi, j’avais besoin d’autres personnes pour un peu diluer mes sentiments. Si je l’avais fait seul, il aurait été plus sombre. »

Il s’interrompt deux secondes, songeur. Avant de repartir de plus belle:  » Je ne suis pas en colère. Je suis fasciné par l’ironie de la situation. Il y a 50 ans, il était impensable d’envahir un pays pour s’accaparer ses ressources pétrolières. Aujourd’hui, dire cela est devenu une prise de position politique, plutôt qu’un simple point de vue humaniste, de bon sens. C’est amusant de voir comment les choses ont tourné… Avec ce disque, je voulais juste dire ce que j’avais à dire. Si c’est vu comme politique, ok. Mais pour moi, c’est d’abord un album d’êtres humains qui expriment ce qu’ils ressentent. « 

London Undersound, distribué par Cooking Vinyl. www.nitinsawhney.com

Rencontre Laurent Hoebrechts, à Amsterdam

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