Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

EXTRA SENSORY PERCEPTION – RÉUNISSANT 5 CONCERTS DE LA TOURNÉE EUROPÉENNE DU SECOND QUINTETTE EN 1967, UN MAGISTRAL ALBUM VIENT TÉMOIGNER DU RETOUR AU 1ER PLAN DE MILES À LA FIN DES SIXTIES.

« LIVE IN EUROPE 1967/THE BOOTLEG SERIES VOL. 1 »

COLUMBIA/ LEGACY 94053 ( SONY)

Kind of Blue, en 1959, a imposé Miles Davis comme le leader incontesté d’une scène jazz dont ce chef-d’£uvre indépassé organise la subtile subversion. En effet, le mythique album substitue aux systèmes de composition et d’improvisation du hard bop (que Miles a contribué à définir) ceux, libérateurs, de la musique modale. Pourtant, ce qui devait constituer un nouveau départ se transforme en un coup d’arrêt inattendu très mal vécu par le trompettiste qui voit les 3 solistes de son sextette (Bill Evans, Julian Adderley et John Coltrane) tirer définitivement leur révérence. De ces défections, c’est celle de Trane dont Miles aura le plus de mal à se remettre. Que ce soit Sonny Stitt, Hank Mobley, George Coleman ou Sam Rivers, aucun saxophoniste ne sera capable dans les années qui suivent de booster la créativité du leader. Conséquence, la discographie de Miles Davis entre 1960 et 1964 ne vaut que pour ses enregistrements live, à l’image des jumeaux My Funny Valentine et Four & More, même si le musicien a réussi, avec le flair qui le caractérise pour dénicher les talents, à renouveler d’un coup un groupe qui émarge désormais à la classe biberon avec Ron Carter (contrebasse, 26 ans), Herbie Hancock (piano, 23) et Tony Williams (batterie, 17), recrutés peu avant la tournée européenne de 1963 (cf. Miles In Europe). Il devra néanmoins attendre jusqu’à l’automne 64 pour que, après de multiples malentendus, le ténor de Wayne Shorter, longtemps espéré, les rejoigne et que naisse, enfin, le « second quintette » sur la scène du festival de Berlin ( Miles in Berlin).

Suivront 3 années formidables ponctuées par les enregistrements en studio de ESP ( Extra Sensory Perception), Miles Smiles, Sorcerer et Nefertiti, dominés par les compositions du saxophoniste. Pourtant, lors de la tournée européenne de l’automne 1967, peu de ce matériel sera utilisé, le leader préférant se rabattre sur les standards et les originaux des années 50 qui ont fait sa gloire.

Improvisation in Jazz

Déjà connus par de nombreuses publications pirates, 5 concerts donnés pendant cette tournée, organisée par le Newport Jazz Festival In Europe sous l’égide de George Wein, viennent d’être réunis dans un album de 3 CD et 1 DVD à la qualité sonore maximale. La somme de musique que représentent les prestations d’Anvers, Copenhague, Paris, et celles filmées à Karlsruhe ou Stockholm peuvent enfin prendre toute la place qui leur revient dans l’histoire musicale de Miles comme dans celle du jazz moderne. Le foisonnement polyrythmique de Tony Williams, la rigueur quasi classique d’Herbie Hancock qu’il mélange à un swing d’enfer, la solidité imperturbable de Ron Carter et, surtout, l’invraisemblable liberté de Wayne Shorter, à peine canalisés par le lyrisme tempéré d’un Miles revenu à son vrai niveau, rendent possibles, à travers ce répertoire aux morceaux enchaînés comme une longue suite, les transgressions les plus radicales -le tempo et son intensité, qui relèvent de la seule volonté du batteur, offrant au saxophoniste la possibilité d’exprimer les idées qui le traversent dans des solos d’un expressionnisme furieux capable, çà et là, de faire montre d’une lumineuse légèreté. En fait, dans une structure extraordinairement élastique, Miles et ses complices s’offrent une liberté (la fameuse « controlled freedom ») terriblement excitante qui, certes, appartient à l’air du temps mais renoue également avec la grande leçon modale de Kind Of Blue. l

PHILIPPE ELHEM

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