Michel Journiac – L’action photographique

© Michel Journiac, 24 H de la vie d'une femme ordinaire, Phantasmes, La cover-girl, 1974 / Collection Maison Européenne de la Phot
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, à Paris. Jusqu’au 18/06.

C’est un fameux coup de gong que Michel Journiac (1935-1995) a fait retentir sur la photographie. Avant lui, elle roucoulait plus ou moins pépère, entre portraits et paysages. Personne ne l’obligeait à mettre son nez dans les couches souillées de l’inconscient. Après lui, elle ne sera plus jamais la même, gardant la trace d’actions difficiles à digérer pour l’époque: impossible de faire comme si rien ne s’était passé. Journiac est celui par qui la performance et le body art ont fait leur entrée dans le champ de l’image fixe. Plusieurs de ses séries ont marqué les esprits. On pense à 24 heures de la vie d’une femme ordinaire, soit une journée entière pendant laquelle le plasticien se laisse immortaliser dans le plus pur style « l’homme est une femme comme une autre ». La performance date de 1974. On y voit Journiac, perruqué et manucuré comme il se doit, vivre une vie de maîtresse de maison ordinaire: il s’offre un « raccord » au rouge à lèvres, fait la vaisselle, achète un paquet de tampons, se fume une petite cigarette et explore même les fantasmes de « cover girl » d’une mère de famille. Bref, il se coule dans ce « gentil tragique du quotidien féminin » tel que le décrivent les magazines de l’époque. Aujourd’hui encore, ces images ont gardé toute leur pertinence en ce qu’elles examinent les conditionnements sociaux à l’oeuvre et invitent à s’en affranchir. Journiac n’arrête pas là son goût du masque et du travestissement. Il revêt les apparences des figures du père et de la mère: Robert et Renée. À travers cela, il dépasse la mission de « façonner le social » attribuée à l’artiste par Joseph Beuys pour se faire véritable « sculpteur du familial« . Si elle sort aujourd’hui du purgatoire dans lequel elle a longtemps macéré, c’est que l’oeuvre de Journiac est à nouveau comprise. Bien plus que drôle ou grinçant, son travail est avant tout un éloge de l’inadéquation. Une distorsion facile à expliquer par la biographie de l’intéressé mais qu’on aurait tort de penser anecdotique: il ne s’agit rien de moins qu’un vrai programme politique pour désamorcer toutes les formes de répression du vivant.

Michel Verlinden

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