Mercury rêve Bobbie

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Les Américains précieux reprennent l’intégralité d’un album de Bobbie Gentry de 1968 et son tube Ode to Billie Joe, avec un aréopage de chanteuses de haute volée.

Au printemps 1967, une inconnue de 25 ans place dans les charts internationaux Ode to Billie Joe, n°1 aux États-Unis comme au Canada. De Sinatra à Jean-Louis Murat, au fil des décennies, les reprises de cette complainte country-blues adapteront le récit d’une famille du sud rural, ravagée par le suicide d’un des siens. Bobbie Gentry, qui a grandi dans une ferme du Mississippi, ne connaîtra plus jamais pareil succès, se retirant du showbiz au tout début des années 80 après sept albums studios et des passages répétés à Las Vegas. Elle vit aujourd’hui dans une résidence privée des environs de Memphis: fin apparente de l’histoire, donc, qui laisse néanmoins la trace de l’une des premières chanteuses américaines à interpréter et composer un répertoire -pré-americana- en toute indépendance. Le scénario de gloire brusque, de carrière évanescente puis de disparition de l’espace public, n’a pas dû laisser indifférent le noyau de Mercury Rev, Jonathan Donahue et Grasshopper, rejoints ici par Jesse Chandler de Midlake. Hormis le tube précité, ils décident donc de s’approprier le second album de la chanteuse, The Delta Sweete. Peut-être parce qu’il fut boudé commercialement à sa sortie en 1968, sans doute parce qu’il incarne une manière intime de raconter l’Amérique des années 60.

Mercury rêve Bobbie

Onirisme maximal

L’opération transfuge donne l’impression de passer d’une archive noir et blanc au charme flou à une production IMAX inondée de brillance. La blue-eyed soul de Gentry sur The Delta racontait une plongée dans son sud natal, vissée aux vies simples partagées entre terre et église. Si la production de Bobbie de 1968 s’autorise parfois des cuivres et des cordes, l’album reste au final plus sentimental qu’emphatique. A contrario, la relecture de Mercury Rev immerge chaque chanson dans un onirisme maximal, une sorte de fable épique 2.1. La bonne idée est d’avoir confié l’interprétation à des chanteuses qui, jamais, ne trahissent le propos original de Bobbie, malgré leur diversité de styles, générations et origines. Douze titres, six Américaines et sept Européennes, Penduli Pendulum étant un duo. L’affaire, essentiellement tactile, vogue de l’inconnue Margo Price de Nashville, 24 ans, impressionnante dans l’un des moments-phares du disque (Sermon) au conclusif Ode to Billie Joe, laissé au talent anthracite de la sexagénaire Lucinda Williams. En craquant au passage pour Norah Jones, minérale (Okolona River Bottom Band) et le phrasé charnel d’Hope Sandoval (Big Boss Man). Parce qu’elles ont toutes ce grain de voix rauque, fêlé, habité, présupposant d’intégrer à la voix ses propres vulnérabilités. Signe d’une épatante reconstruction qui renvoie forcément à l’original.

Mercury Rev

« Bobbie Gentry’s ‘The Delta Sweete’ Revisited »

Distribué par PIAS.

9

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