Trente ans après leur Banana split d’anthologie, le tandem Lio-Jacques Duvall sort un album punk-garage bouclé en trois jours speed dans un studio liégeois glacial. Le tout sous l’ardente direction de Benjamin « Miam Monster Miam » Schoos. Rock’n’roll altitude?

Jacques Duvall attend Lio dans un café près du métro Opéra. Dès qu’elle arrive, elle impose une allure sexy de Romy Schneider du Sud, vêtue d’un juste au corps qui ne masque rien de son impact charnel. Les deux amis de trente ans (et plus…) forment le feu et l’eau, ou l’huile sur le feu, en tout cas un truc à la fois complice et taquin. Ils n’ont jamais cessé de travailler ensemble dans une relation volontiers électrique comme ce Phantom Feat. Lio concocté chez Freaksville (cf. encadré). En attendant la belle, Duvall, éternel auteur de maux amoureux, fait le point sur cette amitié qui remonte au début des années 70 alors que Jacques travaille à la médiathèque, tout comme les parents de Vanda, future Lio.  » Lio, c’est un chemin chaotique où ce qui est prévu est rarement exécuté, y compris sa carrière. Quand on allait en voyage ensemble, si on devait partir le mardi en Espagne, il y avait beaucoup de chance que l’on parte le jeudi en Norvège (rires). Comme je suis control-freak, j’ai assez besoin de cela, cela me garde vivant! J’écris pour moi mais sur cet album-ci, il y a quand même beaucoup de morceaux pour elle. » Absent de l’interview parisienne, Benjamin « Miam » Schoos, producteur et compositeur de l’album, nous livre aussi ses impressions sur les deux autres.

C’est étonnant que vous n’ayez pas fait un disque de rock’n’roll avant celui-ci!

Lio: Mais quand on a fait Le banana split, pour nous, c’était une quintessence de rock, de tout ce qui était dans notre panthéon: un peu de Little Eva, un peu de Blondie, un peu de Ramones. Tout cela était d’ailleurs très inspiré par le Rock Dreams de Peellaert…

Jacques Duvall: Les premières maquettes de Banana split étaient quasiment punkoïdes. La première version était d’ailleurs produite par Lou Deprijck pour une audition RKM et cela sonnait quasiment comme du Plastic Bertrand… On remercie le ciel que cela ne se soit pas fait à ce moment-là, on aurait été catalogués. On voulait faire sonner les synthés comme du Phil Spector, ce que Moulin et Dan Lacksman ont réussi…

Comment s’est enregistré ce disque Phantom?

JD: A la Freaksville, en trois jours, ce qu’on n’avait jamais fait, avec un groupe jouant quasi en même temps que la chanteuse…

L: J’ai ce truc un peu spécial de prendre les choses comme elles arrivent et puis de voir si je m’y sens bien, c’est tout ce qui m’intéresse. Je suis arrivée à Liège et me suis retrouvée dans un hôtel où allait Simenon, dans une chambre avec des néons, privée de chauffage… Et le lendemain, j’ai ouvert les portes d’une station désaffectée qui puait le rat mort ( le studio semi-abandonné de la Soundstation, ndlr). Je gardais ma doudoune et je buvais le philtre du chanteur, un mélange d’herbes un peu chelou… (rires)

JD: Une potion magique… pour les bardes!

Il y a quand même une madeleine de Proust dans ce disque, Proust étant les Ramones: cela ramène d’emblée et assez fortement à une époque phare, 1977…

L: C’est le rock’n’roll éternel, les Ramones comme la musique de Miam Monster Miam. Il y a un enthousiasme juvénile et une légèreté qui, en cela, me rappellent mes 16 ans…

Sur ce disque-ci, la théorie selon laquelle Duvall écrit toujours les chansons pour lui, est ébréchée. Clairement, certains titres sont destinés à Lio!

L: Je crois que Duvall m’aime enfin (rires). Il restait attaché à moi pour des choses… qui lui parlaient. Et maintenant, je pense qu’il est intéressé parce que je ne suis pas comme lui. Je lance un pavé dans la mare.

JD: Théorie intéressante et plausible: ce qui voudrait dire que je suis devenu un meilleur être humain, ayant maintenant un regard sur les autres. L: J’ai surtout l’impression que tu t’es épuisé (rires). Mais comme tu es curieux, tu veux un peu t’amuser, lutter contre l’ennui. Et en cela, ce disque est un parfait antidote: il peut avoir de la gravité mais il n’a aucune lourdeur.

Dans cette époque un brin cataclysmique, ce disque doit-il être reçu comme une décharge de fun universel sans barrières d’âge ou de style?

L: Faut comprendre que je ne pensais même pas refaire un disque un jour (rires). Ce que j’aime dans l’album, c’est l’intrigue. Je sens que Benjamin est intrigué par moi: je trimballe 30 ans de Lio derrière moi et c’est un drôle de machin. Si Benjamin n’a pas voulu faire de guitares sur mes projets antérieurs, je pense que c’est pour éviter de s’emmerder sur des choses qu’il trouve cons et inutiles… C’est quand même un radical Benjamin, comme lui (désignant Duvall), comme moi, même si les gens ne le voient pas.

JD: Je suis sûr que les gens voient que tu es radicale, et même que tu es la plus radicale de nous trois!

Dans le disque, on trouve les thèmes duvalliens, l’insondable désespoir de l’amour. Le ton est donné dès le premier titre, Je ne veux que ton bien (1), l’histoire d’un crime passionnel…

L: Ce que j’aime chez Duvall, c’est le son de l’écriture, la façon dont les mots s’agencent. Quant aux sujets, c’est notre petitesse, notre ridiculité (sic) et tout ce qu’on peut aimer là-dedans. Je pense que Duvall met des loupes sur les rapports humains et produit du burlesque. Il y a du Laurel & Hardy là-dedans. Cette fille qui finit par tuer l’autre et qui ne veut que son bien est profondément sincère…

Quand il te fait chanter La veille de ma naissance, qui, visiblement, te concerne plus personnellement, que ressens-tu?

L: Je suis chanteuse donc profondément égocentrique: toutes les chansons parlent de moi. Quand je les ai chantées ne fût-ce qu’une fois, elles deviennent MES chansons… Cette fille de La veille… est portugaise et les Portugaises ont une image anti-glamour au possible, comme les Canadiennes: dès qu’elles parlent, c’est un tue l’amour… Dans l’inconscient des mecs, la Portugaise, elle a directement du poil aux pattes… (rires) Je ne veux pas montrer une « belle image » de moi, cela ne m’intéresse pas. Ce que j’adore, c’est de montrer les travers, les miens et ceux du monde. Et je suis bien servie…

(1) mots-clés dailymotion: lio veux que ton bien

Texte Philippe Cornet, à Paris

Duvall, je suis fan depuis Je déçois. Pour moi c’est un artiste un peu sous-estimé: dans un monde normal, il devrait être aussi connu qu’Arno. Mais bon, Duvall s’en fiche, il aime être underground. Je l’admire vraiment et notre rapport de travail est très plaisant, on s’amuse simplement à écrire ensemble des chansons. Quant à Lio, j’adore ses albums pop. Les trois premiers sont de véritables chefs-d’£uvre dans le genre bubblegum pop.

C’est vrai que Lio, je ne l’ai pas épargnée, et je m’en excuse. Les conditions d’enregistrement étaient difficiles, mais qui sait, la location d’un studio luxueux aurait peut-être donné un disque mou du genou. Même dans ces conditions extrêmes (Lio et Duvall étaient frigorifiés, pas moi car je pratique le training autogène qui me permet d’augmenter ma chaleur corporelle!), Lio, battante fidèle à elle-même, a eu raison de mes choix chaotiques. Elle a chanté avec une fraîcheur inouïe et une grande technicité.

Je viens de Seraing, une ville industrielle grouillante de sons et d’images un peu rudes et je pense que cela m’influence très fort. Plus j’avance, plus je projette ces sensations rêches dans ma musique et puis le groupe maison Freaksville est devenu une vraie machine rock puissante et destroy.

Lio reste un mystère entier pour moi. J’aime son côté radical, c’est très inspirant… C’est une vraie punk, en tout cas en musique. Dans la vie, elle ne triche pas, J’aime ça, je l’aime beaucoup.

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