ULRICH SEIDL, LE RÉALISATEUR DE LA TRILOGIE PARADIES, SIGNE UN DOCUMENTAIRE SUR LES AUTRICHIENS ET LEURS CAVES. FORCÉMENT GRINÇANT…

Ulrich Seidl n’a cessé, tout au long d’une carrière portant sur une trentaine d’années désormais, de mettre à nu la société autrichienne. Tenant d’un cinéma radical et volontiers provocateur, le réalisateur viennois manie la caméra comme d’autres le scalpel, pour un résultat où le soufre le dispute à l’ironie -disposition dont son triptyque consacré au Paradies en diverses déclinaisons détournées apportait l’éloquente démonstration. Venant après celui-là, Im Keller marque un changement de cap relatif, puisque le cinéaste y renoue avec ses amours documentaires passées. Pour autant, Seidl ne déroge en rien à son approche dérangeante, le sujet du film constituant déjà, à ce titre, tout un programme, puisqu’il y est question des Autrichiens et de leurs caves -un choix n’ayant bien sûr rien d’anodin, dans la foulée des faits divers sordides ayant défrayé la chronique locale, les affaires Natascha Kampusch et Josef Fritzl en particulier. « Il n’y a cependant pas de connexion, objecte le réalisateur. Le lien avec l’affaire Fritzl n’est pas nécessaire. Mais cela m’intéresse par contre que le spectateur ait forcément des crimes de cet ordre en arrière-pensée lorsqu’il voit mon film et qu’il crée, de ce fait, ces connexions. Mais elles lui appartiennent. »

Une question de ratio

Pour nourrir son propos, et ausculter les obsessions de ses concitoyens, le réalisateur a convié devant sa caméra un échantillon d’individus tantôt pathétiques, tantôt gratinés, tantôt les deux à la fois, nostalgiques du IIIe Reich, tireurs alignant les cibles tout en ayant le verbe assassin, chasseurs amateurs de phacochères, couples SM et d’autres encore, ayant fait de leurs sous-sols le cadre privilégié de leurs loisirs et plus encore. « Lorsqu’on traite d’un sujet comme les caves et les profondeurs de l’homme, un thème susceptible de parler à chacun, la collecte d’éléments utiles est une entreprise longue et douloureuse, mais surtout excitante, explique-t-il. Mes collaborateurs font du porte-à-porte et rencontrent des gens à qui ils expliquent la teneur du projet. Ils filment leurs interviews, que je visionne avant de rencontrer à mon tour ceux qui me semblent intéressants. Sur les 300 personnes que je contacte personnellement, je n’en filme qu’une vingtaine. »

A les voir se mettre (parfois littéralement) à nu devant sa caméra, on se demande inévitablement comment Seidl s’y prend pour les convaincre de se prêter à un jeu où le grotesque le dispute objectivement au voyeurisme. Travers dont le réalisateur se défend, invoquant au contraire un lien privilégié. « J’ai un don, qui me permet d’établir une relation de confiance mutuelle entre ces personnes et moi, poursuit-il. J’apprends à les connaître, je m’intéresse vraiment à leur vie privée, et elles y sont sensibles, si bien qu’elles acceptent de faire pour moi des choses qu’elles ne feraient pas pour d’autres. Il faut bien sûr qu’elles soient désireuses d’être filmées, qu’elles s’assument et soient prêtes à se montrer devant une caméra. Le couple sado-maso du film voulait montrer à quoi ressemblait sa relation. Mais j’en ai vu 50 ou 60 autres qui rejetaient totalement l’idée d’être filmés. En général, pour une personne acceptant d’apparaître à l’écran, il y en a dix qui refusent. C’est le ratio normal. »

Filmé le plus souvent en plans fixes, le concentré d’humanité ainsi rassemblé produit un sentiment trouble, qu’accentue encore une (fausse) neutralité d’entomologiste. Seidl confesse, du reste, avoir à l’occasion manipulé quelque peu son cabinet des curiosités afin d’obtenir l’effet voulu -ainsi de l’histoire, douloureuse, de la femme dorlotant ses poupées-bébés rangées dans des boîtes en carton, séquence emménagée pour les besoins du film. Mais si la démarche apparaît par endroits discutable, il y a là une plongée dans les tréfonds de l’âme autrichienne s’inscrivant sans conteste dans la lignée de l’oeuvre: marche pour fanfare imbibée ou airs d’opéra entonnés par un gérant de stand de tir, ces drôles de mélodies en sous-sols laissent définitivement un goût acide…

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers, À Venise

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