Matière à réflexion

© OLIVIER DEPREZ

Au-delà de sa fulgurante beauté, la nouvelle exposition d’Olivier Deprez questionne le statut de l’image, le droit d’auteur et la notion de travail.

Technique fallacieusement jugée modeste, la gravure sur bois est souvent regardée de haut. À la manière de piqûres de rappel d’un vaccin fait aux oublieuses sensibilités esthétiques contemporaines, Olivier Deprez (Binche, 1966) nous en inocule la précieuse expressivité à la faveur d’expositions salutaires faisant prendre conscience du lien qui se joue entre le corps et l’image au coeur de ce médium. Cette relation intime s’effectue par le biais du travail manuel. C’est à travers l’usage de la gouge, savamment dosée, que l’imaginaire prend ici forme. Une opération miraculeuse à proprement parler puisqu’elle transforme le « work » (le travail) en « werk » (qu’il faut comprendre au sens d’oeuvre). La toile de fond, l’horizon, de Wrek not Work, c’est Wrek, un livre qui sera publié à l’automne 2020, dont le titre relève de l’anagramme. Ce grand projet, Deprez -qui, rappelons-le, est l’un des cofondateurs du groupe FRMK (initialement Frémok)- le présente comme une « entreprise » dans le sens premier du terme, « prendre entre ses mains », soit une aventure laborieuse et matérielle. Tout le parcours en témoigne, qui aligne structures en bois, presse sur roulettes, panneaux gravés et gravures accrochées sur des fils métalliques. Le visiteur mesure donc le caractère concret de forge présidant à la naissance des sublimes estampes dont le rendu témoigne des forces qui s’exercent sur elles. Cela est d’autant plus marquant que l’artiste n’a de cesse de faire circuler des images existant par ailleurs -la matière première iconographique arrive pour la plupart en droite ligne des réseaux sociaux (Facebook, YouTube, blogs…). À ce titre, une image, ouvrant le parcours, en dit long. On y découvre la « Nancy » de Bushmiller en train de collecter des déchets afin de leur réserver un usage ultérieur, non sans avoir déversé ses propres rebuts dans la grande décharge productiviste.

Manifeste

En 1929, le cinéaste russe Dziga Vertov livrait un chef-d’oeuvre fondateur à la modernité: L’Homme à la caméra. Double, l’opus donnait à la fois à voir un film et le dispositif qui rendait ce film possible. Il en va de même pour Wrek not Work, qui montre le décor et l’envers du décor. Une différence toutefois: alors que Vertov entendait faire exister le cinéma loin de la littérature, Olivier Deprez ne cache pas ses influences. Une section de l’exposition se découvre comme un petit salon orné de fauteuils et d’une table basse. Sur cette dernière, de nombreux ouvrages attachés par des fils -les fils de son imaginaire ? L’homme ne cache rien. Claude Simon ? Il l’a choisi  » pour l’écriture romanesque par couches superposées en même temps qu’emboîtées« . Raymond Queneau ?  » Pour la réflexion sur la notion de liaison en art.  » Franz Kafka ?  » Pour l’abstraction, la gravure sur bois, le visible lisible et le lisible visible, le fragment.  » Au-delà de la beauté des impressions, le propos séduit en ce qu’il s’attache à déconstruire le mythe du travail et de la propriété intellectuelle. Avec beaucoup de pertinence et de modestie, Olivier Deprez en résume les enjeux:  » Si les images, que j’ai travaillées, ne deviennent pas mes images; si mes idées, que j’ai mises en lien moi-même, ne sont pas mes idées, qu’est-ce que le travail? Et que permet-il, si ce n’est la propriété intellectuelle? » Difficile d’imaginer questionnement plus honnête.

Wrek not Work

Olivier Deprez, Bibliotheca Wittockiana, 23 rue du Bemel, à 1150 Bruxelles. Jusqu’au 19/01.

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www.wittockiana.org

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