AUTEUR BRUXELLOIS VENU DE L’UNDERGROUND ET DE LA BD ALTERNATIVE, DAVID VANDERMEULENEST DÉSORMAIS CONNU ET RECONNU POUR SES FRESQUES HISTORIQUES. UNE QUÊTE D’ÉRUDITION PRESQUE LOGIQUE CHEZ CE DANDY AUTODIDACTE.

En 1997, le lieu de rendez-vous -un salon cosy aux éditions Le Lombard- lui aurait sans doute paru très improbable: David Vandermeulen s’occupait alors du café-concert Le Galactica, éphémère rendez-vous de nuit des alternatifs bruxellois, et dessinait des petits mickeys minimalistes et rigolos dans des fanzines ou ses propres Clandestine Books, auto-édités. Aujourd’hui, presque 20 ans plus tard, le même fréquente et fricote toujours avec les alternatifs et les indés, mais publie, chez de « grands » éditeurs, des ouvrages consacrés à d’importantes figures littéraires du romantisme au XIXe siècle -la nouvelle collection Romantica du Lombard, qu’il mène en duo avec le dessinateur Daniel Casanave, déjà riche de deux titres- ou une biographie monumentale et ambitieuse –Fritz Haber chez Delcourt- entièrement dévolue à ce juif allemand, à la fois prix Nobel de chimie en 1918 et protonazi à l’origine des armes au gaz et du Zyklon B… Une oeuvre et un parcours atypiques, mus par des curiosités intellectuelles et culturelles peu communes parmi ses pairs, et dans lesquels on retrouve aussi Fluide Glacial, Jean-Claude Van Damme (Le concept aware chez 6 Pieds sous Terre), La Revue Dessinée ou Ric Hochet, avec Ric Remix, album composé entièrement de cases préexistantes. Intello et érudit, Vandermeulen, mais aussi éclectique donc. »Je suis né en 1968, dans une époque qui était déjà une grande confiture d’idées, trop post-moderniste pour moi. Et je suis fasciné par les prophètes, les gars qui comme Engels écrivent en 1890 que la prochaine guerre sera mondiale, qu’ils creuseront des tranchées, que tout ça finira dans un bain de sang et que les grandes couronnes tomberont. Et ça, 30 ans avant! Cette acuité désarmante me met les poils. Je préfère donc m’intéresser au passé. Les contemporains ne décèlent pas les prophètes. »

L’origine des choses

A priori, rien à part l’érudition revendiquée, ne relie sa collection Romantica et Fritz Haber. La première retrace de manière volontairement divertissante et « classique », hormis son format à l’italienne, les « vraies » vies de grands auteurs du XIXe. Le premier tome est consacré au poète anglais Shelley, le deuxième à l’Allemand Chamisso, le troisième, en chantier, revisitera la vie du Français Gérard de Nerval. « On aimerait faire un Russe, un Italien, un Scandinave… Il y a beaucoup de choses à puiser chez les romantiques. Parler de soi, c’est très moderne. Or c’était l’une des particularités des romantiques. Et on vit une époque ultra-romantique! Le moi et l’ego sont extrêmement mis en avant, on ne peut plus s’en échapper. C’est cette vision du monde qui prime. Alors non, non, le romantisme, ce n’est pas offrir des fleurs à sa femme à la St-Valentin. Parler des romantiques, c’est aussi recadrer le mot. »

Son roman graphique Fritz Haber, lui, n’a vraiment rien de léger: David Vandermeulen en est à son quatrième pavé de près de 200 pages chacun, entièrement réalisé au lavis retravaillé à l’eau de javel, « une technique chimique en rapport direct avec son sujet, pour créer des images mémorielles, hyper-réalistes mais teintées d’abstraction. J’ai mis des années pour vraiment m’y mettre (Fritz Haber a été entamé en 2005, ndlr), mais il ne m’a fallu que dix minutes pour trouver la manière. Presque un rayon divin. La seule fois. J’attends la prochaine. » Le tout sur un sujet pour le moins délicat et touchy -un juif allemand qui, le premier, a mis la science et le gaz au service de militaires et du nationalisme… « Je voulais voir si la BD, en tant qu’art de synthèse, était capable de raconter un être aussi complexe. Or le dessin apporte une dimension poétique. Les gens sont plus conciliants avec l’image. »

Rien à voir donc? « Si, nous contredit l’auteur: la genèse des choses. Romantica et le romantisme, c’est la genèse culturelle de notre monde actuel, on les ressasse, on n’en finit pas. Et Fritz et son époque, c’est la genèse de notre monde contemporain, comment l’ultra-capitalisme est né, comment l’éthique scientifique a commencé à déraper… Les origines, pour mieux rappeler dans quel monde on vit. » Du sérieux donc, pourtant traité en BD. Le David Vandermeulen drôle qu’on croise dans les cocktails revient alors en force: « C’est pragmatique, pas très glamour: pour faire une carrière, pour « réussir », il faut 5 % de talent, 5 % de chance et 90 % d’entregent. 90 % c’est beaucoup, mais on vit une époque où il faut savoir se vendre, bien parler. Je le déplore. Mais si le mec est autiste et n’aime pas les mondanités, il est perdu. »

FRITZ HABER (TOME 4), DE DAVID VANDERMEULEN, ÉDITIONS DELCOURT, 154 PAGES.

7

CHAMISSO, COLLECTION ROMANTICA (TOME 2), DE DANIEL CASANAVE ET VANDERMEULEN, ÉDITIONS DU LOMBARD, 256 PAGES.

7

RENCONTRE Olivier Van Vaerenbergh