LE FESTIVAL D’ANGOULÊME A CONFIRMÉ LE PARADOXE, OUTRE LE TRAUMA POST-CHARLIE: LA BANDE DESSINÉE EST DÉFINITIVEMENT INTERNATIONALE, MAIS LES AUTEURS FRANÇAIS, EUX, SONT DANS LA RUE. OU À LA RUE?

Le festival international de la bande dessinée à Angoulême, qui a tenu le week-end dernier sa 42e édition, c’est un peu le Paris-Dakar des auteurs de BD et des professionnels de la profession: chaque année, c’est un véritable enfer. Quatre jours de pluie, de froid et de foule que l’on affronte sur des kilomètres; des expos et des débats qu’on n’aura pas eu le temps de voir, des auteurs qu’on n’aura pas eu le temps de croiser, des chapelles qui ne se mélangeront pas, des derniers verres qui se refuseront à l’être et des projets qui, finalement, se concrétiseront ailleurs. Un enfer pavé de milliers d’albums, dont on sort lessivé et avec des planches en retard, mais où on retournera, comme quasi chaque année, et avec plaisir encore bien. Sauf que cette année, les mines, et pas que de crayon, étaient vraiment plombées: pas un mois ne s’est écoulé depuis les attentats de Charlie Hebdo et l’assassinat de leurs pairs.

Alors Charlie était encore partout, et comme jamais, des devantures des magasins angoumoisins aux panneaux d’habitude électoraux, en passant par les affiches, les stands, les badges, les calicots et les hommages, parfois officiels (la création du Prix Charlie Hebdo de la Liberté d’expression, pérenne et décerné à titre posthume à Cabu, Wolinski & Co; l’expo Une histoire de Charlie forcément un peu bâclée), parfois, plus rarement, bien dans l’esprit: Jean-Christophe Menu, mandaté par Charlie pour venir chercher son Grand Prix Spécial, aura fait le speech de l’année, traitant de « con » le maire placé à côté de lui pour avoir un temps encagé ses bancs dans l’idée d’éviter les punks à chiens. « Etre Charlie, c’est en avoir rien à branler« , a rappelé le cador de la BD indé face aux applaudissements hilares de ses copains et les joues cramoisies des officiels. Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide Glacial, s’est lui contenté un peu plus tard de coller des panneaux « interdit au maire » sur lesdits bancs. Cette ambiance post-Charlie et très française, on la retrouvait aussi dans La Marche des auteurs qui s’est tenue samedi, cette fois pour avertir les médias et le monde politique de la précarisation galopante d’un métier qui l’est de moins en moins: « Sans auteurs, plus de bande dessinée« , pouvait-on lire sur la bannière tenue en ouverture de cortège par Lewis Trondheim ou Pénélope Bagieu, eux-mêmes suivis par à peu près tous leurs collègues, en tout cas ceux qui n’étaient pas tenus de dédicacer à ce moment-là.

Eux, et la plupart des très nombreux auteurs étrangers présents cette année à Angoulême, étrangers aussi à ce début de conflit social, et à cette ambiance un brin dépressive. Car c’est bien là le deuxième enseignement du festival: le plus gros festival de bande dessinée se tient toujours en France, mais n’a plus grand-chose de français.

BD Worldwide

Après le Hollandais Willem et l’Américain Watterson, c’est donc, et pour la première fois, un Japonais -Otomo, créateur d’Akira– qui empoche le Grand Prix, et présidera le prochain festival; au rayon des expos à voir de l’année, on retiendra entre autres mais surtout les expos Jack Kirby ou Taniguchi, l’anniversaire des Moomins finlandais ou encore la patte des Belges, avec l’installation poilante et ludique de Nix autour de Kinky & Cosy, ou les quinze ans de L’Employé du Moi. Quant aux récompenses de l’année, le Fauve d’Or revient à Riad Sattouf pour un récit très… syrien, le prix « série » revient à Lastman, imbibé de mangas, un Américain se prend le prix spécial, et même, même!, le prix du Patrimoine est empoché par un Chinois.

Cette internationalisation de la bande dessinée et du festival était une volonté depuis longtemps affichée par son ancien patron, Benoît Mouchart, aujourd’hui chez Casterman; elle est devenue une réalité omniprésente, de l’économie mondialisée qui s’affiche de stands en pavillons aux influences artistiques effectivement multi-culturelles de beaucoup de jeunes auteurs. Une réalité qui cadre mal avec le mal-aise français qui s’est exprimé jusque dans les rues et dans bien des conversations. A contrario de l’enthousiasme des auteurs étrangers pour ce festival et ce pays qui leur semble toujours férus de BD: chez eux, en termes de reconnaissance et de conditions, c’est encore pire.

TEXTE Olivier Van Vaerenbergh, À Angoulême

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