JOAN AS POLICE WOMAN FABRIQUE VOLONTIERS SA MUSIQUE DANS LE LONG COULOIR QUI RELIE LE ROCK AUX MUSIQUES (PLUS) NOIRES, MAIS AU NATUREL, CETTE ENFANT ADOPTÉE SE MONTRE ÉTONNAMMENT DIRECTE. FOCUS TENTE LE RÉBUS.

Bruxelles, hiver 2010. Joan termine une séance photo de mode mais le résultat ne changera pas l’impression caméléonesque donnée par cette chanteuse américaine, jamais 2 fois pareille. Parfois, elle évoque la fille cheyenne de Marlon Brando, parfois la demi-s£ur -non botoxée- de Madonna. Cheveux longs, chignon de province ou coupe bobo intense et ce fameux profil aiguisé comme un couteau solitaire. Cette jolie fille aurait-elle plusieurs vies? Joan Wasser -née le 26 juillet 1970 dans le Maine- pose le même dilemme par sa musique, ce qui rassure. Dès son premier album, Real Life, à l’été 2006, le style coulisse entre folk lunaire rural et soul sensuelle massée dans les aigus. Avec une allure sauvageonne qui déride n’importe quel schéma fantasmé. Impressions confirmées par un second disque aux tons de cuisine vapeur ( To Survive, 2008): aucun effet mirobolant, mais un goût pour les ballades denses et poivrées, entre Feist et Minnie Riperton. Quand Joan chante To Be Lonely, personne n’aurait l’impudence de lui dire que non, avec son physique et talent, une telle chose n’est pas possible. De fait, la troisième livraison servant de prétexte à l’actuel papier nuance la guéguerre des définitions stylistiques. Blanc, black, latino, existentiel, charnel, spleen, rock, macrobiotique, fitness bio? La pochette où Joan apparaît en simili-prêtresse indique un embryon de culte, forcément libertaire. Si l’on en croit les chansons qui s’autorisent un solo de guitare charnu et renforcent les soubassements funky d’une musique de dance-floor conscientisé. On s’évade dans des torticolis hypnotiques qui, de temps à autre, frôlent le tube radio. Avec cette qualité première en musique: l’ambiguïté. Alors au naturel, malgré la sale neige et le saute-promo entre plusieurs étapes européennes, Joan, à 50 centimètres, fait impression. Charisme sans esbroufe ou souci marketing. Elle s’en fout -ou presque- de parler du disque qu’une bande annonce déclare enregistré entre copains dans un studio new-yorkais, assez « old skkkkoool », tous dans le même bain numérique. Vieux songe de collectivité matricielle peut-être?  » Je suis née dans le Maine, l’un des endroits les plus froids sur Terre, mais je n’ai pas passé beaucoup de temps là-bas. J’ai grandi à Norwalk, dans le Connecticut, à une heure de New York. J’ai appris le violon classique à l’âge de 8 ans. Mon frère et moi avons été adoptés, je suis d’origine française et amérindienne. J’ai grandi dans une sorte de ville idyllique, multiraciale et de diverses origines sociales. » Joan fréquente donc une école dont elle est la seule blanche (…) -ce qui lui paraît  » affreusement normal« – et imagine que  » le monde entier est comme cela ». Assez vite, Jimi Hendrix, Led Zeppelin et CSNY (…) viennent booster les graines du quotidien. Les réverbérations du punk new-yorkais arrivent aussi dans le bled de Joan:  » Je fréquentais un club où les mineurs étaient admis, ce qui veut dire qu’il n’y avait pas d’alcool. Et j’y ai vu un concert de Black Flag, qui a changé à jamais ma perception de la musique. J’ai toujours eu une énergie infinie, d’où le besoin monstrueux d’engagement physique. En scène, je bouge d’autant plus qu’on n’est que 3, ce qui empêche toute forme d’ennui! La scène est le lieu ultime du contact physique. »

Quand on lui met la mélancolie rhythm’n’blues sous le nez -celle qui pimente certaines chansons du nouveau disque-, Joan nous la joue presque new age:  » Je ne veux pas trop penser, je refuse d’être cérébrale, je cherche les connections, celles de l’amour, je pense que tous les amours durent à jamais, ils mutent bien sûr, se rompent, mais j’aime l’idée d’être profondément humaine. » A ce stade de la conversation, on en vient à parler de Jeff Buckley (1966-1997) que Joan fréquenta bibliquement:  » Ensemble, on écoutait beaucoup de musique, il était un performer incroyable qui savait saisir l’avantage du moment, comme Nina Simone, Neil Young ou Nusrat Fateh Ali Khan que je suis d’ailleurs allée voir avec Jeff à New York, en 1994. Je fais de la musique parce que je sais qu’elle m’aide à vivre, et donc, je la renvoie aux gens pour qu’ils puissent s’oublier complètement dans l’instant. » Joan a négligé les  » conseils de prudence » prodigués par sa famille d’adoption et refuse  » à jamais d’être misérable ». Partie de la maison à l’âge de 18 ans, elle a retenu les leçons de Public Enemy  » qui disait que le gouvernement mentait, une véritable révélation pour moi ». Quand on signale à Joan une rencontre avec Chuck D et Flavor Flav à New York vers ’88, elle en avalerait son saumon-vapeur:  » Ils étaient tellement oooooh, étonnants, dans quel studio? Ce truc de s’éduquer et de vouloir vivre sa vie, don’t believe the hype… ooooh. Moi, j’expérimente TOUT. » Joan a fini par retrouver ses parents biologiques, et vous savez quoi, cette incroyable vérité s’entend aussi sur le disque. Sur ce, elle file à Milan et nous embrasse. Sur les 2 joues. l

TEXTE PHILIPPE CORNET

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content