Xavier Giannoli traque la vérité humaine dans à l’origine, au départ de l’histoire peu banale d’un escroc qui se retrouva bâtisseur d’autoroute…

Le cinéma de Xavier Giannoli est une belle route sinueuse. Révélé, il y a quelques années, par Les Corps impatients, le film qui imposa Laura Smet, le cinéaste français réalisait ensuite, au détour d’ Une aventure, un renversant portrait de chanteur de province sur le retour avec Quand j’étais chanteur, le film qui rappela Gérard Depardieu à notre bon souvenir. Le voilà qui signe aujourd’hui A l’origine (critique dans Focus du 6 novembre), superbe film conjuguant désarroi social et vérité humaine, sur arrière-plan d’escroquerie hors-normes.

Présenté à Cannes en mai dernier, le film y avait suscité un bel enthousiasme. On retrouvait Xavier Giannoli au lendemain de la projection officielle pour évoquer une histoire inspirée d’un curieux fait divers, qui avait vu un escroc se faire passer pour un chef de chantier avant d’entreprendre de construire une autoroute au milieu de nulle part. Une affaire peu banale, certes, au départ d’un long processus d’adaptation: « Je ne crois pas que l’exposition des faits suffit à exprimer la vérité d’une histoire, sinon il n’y aurait pas de justice, observe le cinéaste. C’est forcément mis en débat et, non moins forcément, tout le monde a un point de vue différent. Moi, pour écrire cette histoire, j’ai rencontré le véritable escroc, le juge d’instruction, une grande partie des gens qui ont été impliqués. J’ai accumulé un matériel de témoignage considérable, mais que puis-je faire de cela? Un travail de cinéma, c’est trouver comment la fiction, le romanesque va à la fois respecter quelque chose de la réalité des faits et être pris dans un mouvement qui va exprimer la subjectivité d’un artiste, son regard sur cette histoire. »

Patron voyou et voyou patron

S’agissant de Giannoli, il s’agira, d’entrée de jeu, de traquer la vérité humaine des personnages: « Un metteur en scène doit avoir presque à l’instinct, et d’une façon charnelle, une ambition anthropologique qui est: « qu’est-ce que c’est un être humain? » , le mystère de notre rapport au monde et de notre rapport aux autres. Et puis, cette histoire suggérait quelque chose de beaucoup plus ample qu’elle-même, les enjeux étaient énormes, et j’en ai eu l’intuition très vite: il était question de la société, la confiance, le mensonge, l’identité, le collectif, presque le religieux. Et notre besoin de fixer un point à l’horizon pour qu’un groupe puisse se rassembler et croire en quelque chose. »

Quoi qu’il s’en défende – « Je ne fais pas un cinéma politique, en prise avec l’actualité, voulant stigmatiser tel ou tel événement »-, on ne peut s’empêcher de trouver au film de Xavier Giannoli une forte résonance avec le présent. A l’origine réussit ainsi à prendre le pouls du désarroi social, en même temps qu’il dénonce, en finesse s’entend, la dictature du rôle social, moteur premier, bien plus que le profit, d’un escroc qui déclarera au juge: « pour la première fois de ma vie, j’étais quelqu’un… » « Il est évident, poursuit le réalisateur, que le film est traversé par des interrogations sur ce que c’est, d’être un être humain, aujourd’hui, dans notre société (…) Ce qui était très amusant dans l’histoire, et très intéressant, c’est qu’alors que d’habitude, un escroc ou un rebelle veut détruire tous les murs qui emprisonnent nos vies, celui-là entreprend de les reconstruire. Il se retrouve responsable de tout ça, et se séquestre lui-même d’une certaine façon. Je trouvais cela intéressant et tumultueux. En ce moment, tout le monde parle des patrons voyous. Là, c’est un voyou qui devient patron… »

A l’instar du protagoniste central de son film, Philippe Miller – campé par François Cluzet, magistral, comme, d’ailleurs, Emmanuelle Devos -, Xavier Giannoli s’est mué, le temps du tournage, en bâtisseur d’autoroute. « Je ne voulais pas tricher, ni faire d’effets spéciaux. J’ai expliqué à mes producteurs qu’il me fallait rencontrer les mêmes problèmes que lui, et qu’il fallait donc construire un chantier d’autoroute. Ils étaient absolument paniqués, terrorisés, mais on l’a fait. »

Alors que le fait divers s’était déroulé dans la Sarthe, le cinéaste jettera pour sa part son dévolu sur le Nord. « J’ai eu besoin du Nord, parce que c’est un paysage de western. Et que, esthétiquement, il y avait quelque chose qui exprimait une forme de solitude, cette petite silhouette dans une immensité. On a construit notre chantier au nord de Cambrai, sur une plateforme, un ancien aéroport. Un loueur de machines m’a mis son matériel à disposition, parce que l’histoire l’avait touché. Du coup, j’ai eu des moyens que je n’aurais jamais pu m’offrir. L’aventure du film a été folle: j’ai commencé avec une équipe « hollywoodienne » de quasiment 120 personnes, et on a terminé à 5 ou 6 parce que je n’avais plus d’argent. On vivait la même chose, c’était l’histoire du film: le choc entre un projet, une vision, et la réalité chaotique des éléments, du monde… »

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Cannes.

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