Alan Moore est sans doute le plus grand scénariste de comics. Mais dès qu’on lui parle cinéma, il sort la grosse artillerie, crache son venin et jette le mauvais oil sur Watchmen.

Alan Moore et le cinéma, c’est une longue histoire de désamour. Leur relation mériterait presque un long métrage en tant que tel… Il faut dire que ses comics traînent une belle réputation d’£uvres intraduisibles au cinéma, réputation entretenue par le créateur lui-même. Avec la vague d’adaptations de films de super-héros ces dernières années, il était naturel que la production « moorienne » change de support. Mais il était tout aussi inévitable que, de From Hell en 2001 à Watchmen en 2009, le parcours soit semé d’embûches, de bombes à fragmentation et de déclarations à l’emporte-pièce.

From Hell (2001) Moore reste calme

La preuve d’emblée avec From Hell, somme passionnante de symbolique franc-maçonne à la sauce Jack l’Eventreur. Face à ce roman-fleuve graphique, les frères Albert et Allen Hughes ( Menace II Society) jouent la surenchère visuelle jusqu’à l’éc£urement et élaguent à peu près tout ce qui fait de From Hell un fruit de l’érudition totale et déjantée de Moore… qui n’aimera pas le film. On le comprend. Transformé en whodunit où Johnny Depp campe un inspecteur de police opiomane et medium – avec Marilyn Manson en fond sonore – son comic n’existe plus.

A l’époque, même si le résultat le déçoit, Moore adopte prudemment ce qu’il appelle, dans le journal The Guardian, une « distance émotionnelle »:  » J’airéalisé d’emblée qu’il n’était pas très honnête, de ma part, d’espérer que le film ressemble en rien à mon livre.  » Bref, le génie encaisse le chèque et ne se mêle pas de production cinématographique.

La Ligue des Gentlemen Extraordinaires (2003) Moore dynamite les ponts

Un esprit raisonnable qui disparaîtra bien vite lors de la sortie de la Liguedes Gentlemen Extraordinaires en 2003. Dale Robinson, scénariste pourtant issu de la BD, livre un screenplay totalement centré sur l’action, déshabillé des détails vénéneux du récit originel et revêtu d’oripeaux mainstream des plus énervants, tel ce jeune premier américain, Tom Sawyer, intégré pour espérer intéresser le public US.

S’il ne s’était agi que de cela, peut-être maître Moore aurait-il pardonné. C’était compter sans les deux auteurs d’un scénario baptisé Cast of Characters. Martin Poll et Larry Cohen intentant en effet un procès pour plagiat contre la 20th Century Fox. Alan Moore tombe des nues:  » Ilssemblaient convaincus que le patron de la Fox m’avait appelé pour me demander de piller ce scénario, dans le but d’en faire une bande dessinée pour que lui-même puisse, ensuite, l’adapter à nouveau en film…  » La déposition du mage de Northampton durera une dizaine d’heures.  » J’aurais été mieux traité si j’avais agressé et massacré tout un autobus d’enfants mentalement attardés après leur avoir injecté de l’héroïne« , indique-t-il au journaliste Rich Johnston.

La sentence ne se fera pas attendre:  » Je ne voulais plus rien avoir à faire avec le cinéma. Dorénavant, si je détiens les droits sur une £uvre, il n’y aura jamais d’adaptation. Dans le cas contraire, j’insisterai pour que mon nom n’apparaisse pas dans les crédits. Et tout l’argent qui me sera dû sera reversé aux autres artistes impliqués. J’en ai ressenti une intense satisfaction morale.  »

V pour Vendetta (2005) Moore exige des excuses publiques

Lorsque Larry Wachowski ( Matrix) l’approche, quelque temps plus tard, pour une transposition de V pour Vendetta, Moore lui ferme, poliment mais fermement, la porte au nez. Quelle ne sera donc pas son ire lorsque, peu après, Warner Bros et DC Comics publient un communiqué où l’on peut lire qu’Alan Moore  » est trèsexcité par ce projet. Larry lui a envoyé le script, nous espérons donc le voir très bientôt. Nous aimerions qu’il sache ce que nous faisons et qu’il soit impliqué.  » Moore exige manu militari excuses et rétractations publiques devant ces  » mensonges flagrants« . Sans succès.

Quant au scénario en question,  » il était stupide et entaché de faiblesses gigantesques que personne n’avait remarquées« . Le diable est dans le détail:  » Ils ont décidé que le service postal britannique s’appelait FedCo. Ils ont dû penser: voyons voir, une version anglaise de FedEx… Et pourquoi pas FedCo? Un de mes amis leur a fait remarquer que le Fed dans FedEx vient de Federal. Les Etats-Unis sont une république fédérale. Pas le Royaume-Uni.  »

Watchmen (2009) Moore crache son venin

Watchmen changera-t-il son rapport au cinéma? C’est mal parti.  » C’est comme si nous étions des oisillons tout frais, ouvrant grand notre bec pour qu’Hollywood nous nourrisse de vers régurgités, dénonçait-il fin septembre dans une interview au LA Times . Le film Watchmen ressemble à cela. Et j’en ai assez des vers. Ne pouvons-nous espérer autre chose? »

Il faut dire qu’il ne s’agit pas de n’importe quel comic dans la bibliographie d’Alan Moore. Watchmen est considéré par beaucoup comme son opus magnum, couronné en 1988 par le plus prestigieux prix pour la littérature SF, le Hugo Award, dans la catégorie « autres formes ». Une catégorie créée pour l’occasion, et qui ne sera plus jamais utilisée…

Une satisfaction, menue et mesquine, lui est venue de là où est né le « mal » à l’époque de la Ligue: les prétoires. Le 24 décembre dernier, un juge californien a confirmé que les droits de distribution du film étaient la propriété de la 20th Century Fox. Problème: c’est Warner Bros qui a produit le long métrage.  » Jevois une merveilleuse ironie dans ces arguties juridiques, s’amusait Moore dans le LA Times. Ils’agit peut-être d’une malédiction lancée depuis l’Angleterre« , référence à sa nouvelle activité, la magie…  » Et je peux vous dire que je cracherai mon venin sur ce film durant les mois à venir. » l

Texte Vincent Degrez

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