LE DEUXIÈME ALBUM SOLO DU BRUXELLOIS POSSÈDE UNE GRÂCE QUI ENVOIE SES BALLADES AU-DELÀ DE MATONGE, OÙ IL HABITE EN FAMILLE.

« Je suis fan de l’Asie du sud-est, ma femme a des origines cambodgiennes. Le coup de coeur date de 1998 et, depuis lors, je suis plusieurs fois parti pour un périple au travers de la Thaïlande, du Laos et du Cambodge, pour un ou deux mois. J’ai commencé à m’imprégner du rythme de là-bas, une certaine lenteur, parfois seul, avec ma guitare. Un jour, je me suis retrouvé au bord du Mékong, près de la Piste Hô Chi Minh, il n’y avait pas un rat, j’étais le seul Occidental à la ronde (sourire). Des bateaux à rames étaient assemblés près du fleuve, pour une bénédiction avant une course traditionnelle. J’ai été invité à me joindre à la musique jouée par des gens qui chantaient en khmer, et moi, j’étais là avec mon anglais, ma six cordes et un gamin de 15 ans qui faisait le traducteur sur deux ou trois éléments nécessaires à la communication. Le dénuement acoustique a quelque chose d’universel. »

Le mot cadre bien avec Living By the Rules We’re Making, deuxième solo de Lylac, Amaury Massion, 38 ans, pour l’administration. A une exception près, les douze titres sont en anglais: des ballades folk nourries de fragrances orientales via le sitar (The Rules)ou les réminiscences Led Zep (Mexico). Avec une résolution du tout possible sixties, par exemple, dans les cordes de Going West. Un charme immédiat, qualité un rien dissipée sur le premier solo de Lylac de 2012. Ici, My Bird, Funny How Beautiful Life Is ou Lost In Space placent la qualité des chansons assez haut: elles n’ont plus qu’à rentrer dans le rêve, celui que chacun rassemble de ses propres fantaisies. Lylac: « L’album est d’une certaine douceur, même si les paroles peuvent être acérées. J’évite la futilité et essaie fondamentalement d’être optimiste, même si on est à un tournant de l’histoire du monde. Il est clair qu’on doit réinventer une sorte de modèle, d’où le titre du disque, « Vivre par les règles que l’on se crée ». Etre un chouia plus altruiste permettra peut-être de renverser la balance d’une société de plus en plus fermée sur elle-même. »

Ancienne triperie

Il faut avoir confiance en soi et dans le monde pour reprendre une chanson de 1950 rendue doublement fameuse par Nina Simone et Jeff Buckley. Lilac Wine -inspiration de son patronyme- ne supplante pas la version astrale des deux artistes américains mais elle fait fermer les yeux, alors que le narrateur appelle son coeur d’un « amour doux et amer brisé » à la résistance par l’ivresse (wine). Lylac enivre via ses nouvelles chansons, supérieures au premier solo comme aux deux albums réalisés sous le nom d’Attica (2004 et 2007) et aux deux autres avec My TV Is Dead (2010 et 2014), toujours en activité. Living By the Rules We’re Making a un beau son, une belle gueule décontractée, une inspiration qui mérite de sortir Amaury de l’underground économique commun à 95 % des musiciens belges. Celui qui a le statut d’artiste « depuis sept-huit ans » n’annonce aucun plan de carrière, mais admet être aujourd’hui « davantage dans des voyages plus sédentaires » qui ne sont pas étrangers à la paternité d’une fille de quatre ans. En même temps, habiter Matonge, le mini-Kinshasa d’Ixelles, c’est forcément prendre l’avion quotidiennement, dans un quartier sonorisé par le lingala et la fête. A trois, ils vivent dans cette maison toute en hauteur achetée avant la flambée des prix. Au rez-de-chaussée, le studio son -avec poster Led Zep- débouche sur une mini-jungle de jardin qu’on rejoint après avoir traversé la pièce carrelée à l’entrée sur rue: une ancienne triperie, métier en nette perte de vitesse. Commerce popu qui contraste avec la première vie d’Amaury, au prénom aussi ucclois que ses années de formation au Collège Saint-Pierre.

Fils d’entrepreneurs, le jeune Massion arrive au micro par hasard: « Un mec faisait la batterie, l’autre la guitare, restait le chant. » D’abord autodidacte, il bourlingue au sein d’un groupe qui fait la tête d’affiche du collège. Qui s’appelait comment? « Maryjane, maintenant tout le monde va penser qu’on était de gros fumeurs de pétards. » Les choses embraient vraiment quand l’étudiant en ressources humaines et business décroche un diplôme de la VUB. Et comprend que sa matière première restera la musique. Après le réputé Studio Jazz d’Anvers, le morceau de choix arrive via le Conservatoire de Liège et les cours de composition et d’impro de Garrett List. Cet Américain, liégeois depuis des lustres, a une spécialité: il dégèle les cursus et nettoie les vieux schémas d’apprentissage. « List est ce qu’il y a eu de plus fort et de plus percutant dans mon parcours, refondant la façon de penser les choses, le cheminement nécessaire. Et la question de vouloir être juste par rapport à soi-même. Sur l’album, un morceau tel que Mexico part de l’impro, du détachement face aux notions comme la peur de l’opinion de l’autre. Cela se fait via une sorte d’écriture automatique, donc j’enregistre tout parce que cela me met dans un état particulier. Je construis ensuite: béatitude et improvisation ne sont pas contradictoires. »

Méthode inspirée de Garrett ou d’un autre, le disque de Lylac a cette justesse et ce talent mélodique qu’on aimerait bien entendre un peu plus en radio. Avec la fougue du Botanique en janvier où 300 personnes ont reçu le message acoustique 5 sur 5. Le sitar de Joachim Lacrosse, les flûte et piccolo de Quentin Monfroy, enrichissant la voix/guitare d’Amaury et les deux violoncelles. « Les deux instrumentistes ont des noms bizarres (sourire), Thècle Joussaud, qui était sur le premier solo -et une chanson de celui-ci- et Merryl Havard, qui m’accompagne sur Living. Deux violoncelles, c’était canonissime. » La suite mériterait de l’être aussi.

LYLAC, LIVING BY THE RULES WE’RE MAKING, CHEZ HOME RECORDS.

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EN CONCERT LE 6 FÉVRIER AU CALI CLUB À BRUXELLES ET D’AUTRES DATES BELGES SUR WWW.LYLAC.BE

RENCONTRE Philippe Cornet

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