CHRONIQUE ÉROTIQUE ET AMOUREUSE DE GASPAR NOÉ. AVEC KARL GLUSMAN, AOMI MUYOK, KLARA KRISTIN. 2 H 14. SORTIE: 29/07.

9

« Le plaisir est l’objet, le devoir, et le but de tous les êtres raisonnables. » Ce n’est pas Gaspar Noé qui le dit mais… Voltaire, dans une de ses Epîtres! Le réalisateur de Love est sans doute plus raisonnable que d’aucuns le pensent et le répètent en le repoussant vers une marge trompeuse. Loin de toute provocation gratuite, le réalisateur des fulgurants Seul contre tous et Irréversible poursuit une démarche hautement personnelle, sensuelle, d’autant plus fascinante et bouleversante qu’elle se nourrit de la propre fascination, du propre bouleversement de Noé pour le potentiel du 7e art à défier nos limites et celles de la réalité. Six ans après le trip halluciné aux confins de la mort d’Enter the Void, le cinéaste nous offre enfin ce film de sexe explicite dont il rêvait déjà au tout début des années 2000. Il l’a nommé Love, et c’est bien d’amour qu’il parle, au-delà d’une affiche éjaculatoire que le film justifiera pleinement lors d’une seule scène, presque déplacée dans un ensemble où l’érotisme se sublime, où le désir n’est jamais vide de sentiment. Le brouhaha de la première cannoise, lors d’une délirante et très agitée projection de minuit, était donc une fausse piste: celle menant vers un scandale programmé que le film relègue immédiatement au magasin des accessoires promotionnels et du fait divers festivalier.

Hypnotique

Love nous invite à une exploration du couple et de l’étreinte pouvant mener à la vie (une nouvelle vie, une naissance) comme aussi à la mort. Et pas seulement cette « petite mort » qu’est la jouissance, l’orgasme… On pourra juger l’intrigue un peu légère, qui s’articule autour d’un jeune marié nouvellement père, se remémorant sa passion dévorante pour une maîtresse aussi brune que son épouse est blonde. Mais le film est ailleurs, dans la sensation et dans l’émotion, dans une immersion intime et une vibration où l’image et le son s’allient de manière hypnotique. Noé rêve. Et il éprouve. Nous rêvons et nous éprouvons avec lui, dans ce présent absolu du cinéma qu’incarnaient si bien les grands films d’avant le parlant. Et qu’importe la lourdeur de certaines répliques édifiantes, qu’importe aussi l’insistance des hommages rendus dans le cadre à coup d’affiches de 2001, de M le maudit ou de Salo. La photographie du chef-opérateur belge prodige Benoît Debie est mystérieuse et belle. La 3D atmosphérique en diable. La musique classique (Bach, Satie…) invite à cette élévation sans laquelle Gaspar Noé ne saurait plus, désormais, envisager de filmer. De chambre en chambre, le voyage est aussi et surtout intérieur. Et le plaisir, cet impératif voltairien, est au rendez-vous. Même mélancolique, même inquiet, même déchiré, toujours étrange et si proche à la fois.

L.D.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content