DINAW MENGESTU RENOUE AVEC LE THÈME DE L’EXIL DANS UN ROMAN MÉLANCOLIQUE AUX ACCENTS LARGEMENT AUTOBIOGRAPHIQUES. UNE VOIX ORIGINALE ET ENVOÛTANTE DANS LE PAYSAGE LITTÉRAIRE AMÉRICAIN.

Que Dinaw Mengestu avoue une passion sans bornes pour sa cons£ur Marilynne Robinson ( Gilead, Chez nous…) n’est pas vraiment une surprise. Comme son aînée « pulitzerisée », l’Américain d’origine éthiopienne musarde plus volontiers sur les chemins de la mémoire et de la transmission qu’il ne tapine sur les artères encombrées et bruyantes des effets de mode et de manche.

Tout en enracinant ses interrogations, ses doutes et ses peines dans le terreau d’une réalité somme toute banale, qu’il arrose d’ailleurs généreusement de ses propres souvenirs, sa littérature peut être qualifiée de parabolique: elle perce le blindage du quotidien pour rafler quelque chose du mystère de l’existence. C’était vrai pour Les belles choses que porte le ciel, le (premier) roman qui l’a révélé voici 4 ans, ce l’est encore plus pour Ce qu’on peut lire dans l’air, sa nouvelle variation sur le thème de l’exil au titre toujours aussi aérien.

Le déracinement est à nouveau au c£ur de cette saga familiale, mais sur un mode plus intimiste. L’auteur y dépeint en parallèle 2 histoires unies par les liens du sang et par l’impossibilité à trouver sa place sur l’échiquier américain quand on est un émigré, que ce soit de la première ou de la deuxième génération. Jonas, jeune New-Yorkais passionné de poésie, enseigne dans un lycée huppé. Il s’en est plutôt bien sorti mais son coin de ciel bleu est voilé par une mélancolie urticante qui le rend incapable de construire une relation stable et sereine avec sa femme Angela. Au point de laisser la situation pourrir et de tenter de se rabibocher avec le fantôme de son père en refaisant la route que ses parents avaient empruntée pour leur voyage de noces 30 ans plus tôt.

Dans les interstices de ce pèlerinage s’incrustent des échos lointains de cette épreuve de vérité dont les 2 jeunes époux ne sortiront pas indemnes. Ranc£urs, incompréhensions, désillusions… faisant bouillir la marmite des sentiments et venant gangréner une relation mort-née.

Le pouvoir des mots

Aussi lumineux que mélancolique, ce livre récital travaille les sentiments au plus près des cordes sensibles. En mode presqu’infrasonore. On baigne en permanence dans une ambiance tamisée, seulement perturbée par le pinceau de lumière qui suit les protagonistes. En même temps qu’il rebouche, par l’imagination le plus souvent, le mur lézardé de sa mémoire, Jonas atteint une forme de plénitude. Mieux vaut une épopée inventée de toute pièce qu’une identité brodée dans le brouillard. Effet cathartique?  » L’écriture m’a permis de mieux me comprendre mais aussi de mieux cerner mon rapport aux autres« , nous confie Dinaw Mengestu lors de son passage à Bruxelles.

Grand, mince, rastas en pétard, lunettes ovales en écaille d’intello… Le trentenaire ne ferait pas tache dans l’armada de TV on the radio, l’un de ses groupes fétiches même s’il admet fréquenter toutes les chapelles musicales. De quoi rappeler que s’il a les pieds à Paris depuis quelques années, pour des raisons avant tout sentimentales et économiques -sa femme est française et ses revenus ne lui permettent pas de croquer la Grosse Pomme-, sa tête et son c£ur sont toujours à Brooklyn.  » J’aime bien Paris, mais je n’y retrouve pas l’énergie de New York, où tout est plus rapide, plus dense. On y noue des liens en un instant. Et il y a toujours un projet excitant à portée de main. »

Le cosmopolitisme de cette ville-monde rend sans doute plus supportable la position instable de l’exilé. Mais l’écrivain, qui a grandi dans le Midwest, n’est pas dupe. Il sait qu’il n’échappera jamais à ce mal-être métaphysique qui ronge celui qui se sent étranger même dans « son » pays.  » Aux Etats-Unis, je suis considéré comme un écrivain noir. Sauf que ma situation n’a rien à voir avec celle de mes confrères afro-américains comme Percival Everett ou Colson Whitehead. Je ne porte pas sur mes épaules le fardeau de l’esclavage et de la ségrégation.  » Et quand il parvient à faire entendre sa différence, il se heurte à un autre cliché, celui de la victime.  » Quand vous venez d’Afrique, vous avez droit à une empathie un peu dégoulinante au prétexte que vous venez d’une région sinistrée. L’ignorance de mes compatriotes alimente ces préjugés et renforce l’impression d’être hors-jeu. »

Ce qu’on peut lire dans l’air est un livre kaléidoscopique sur l’Amérique, sur l’immigration, sur la famille, sur le couple, sur la condition humaine et sur la langue, dont la maîtrise permet in fine de se réinventer. Et de survivre. Une £uvre en prise avec son époque qui offre un nouvel étage, un de plus, au gratte-ciel des lettres anglo-saxonnes.

Le succès critique des 2 côtés de l’Atlantique ne s’est pas transformé en raz-de-marée commercial façon Levy ou Crichton. Dinaw Mengestu a sa petite idée sur la question:  » Les gens veulent être divertis. Ils se détournent des histoires qui pourraient les déprimer. Ils veulent des happy end. Certains écrivains sont prêts à faire ces concessions. Moi pas. Je trouve ça vulgaire parce que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. » On porte tous une croix. Mais chez certains, elle pèse quelques kilos de plus… l

u CE QU’ON PEUT LIRE DANS L’AIR, DE DINAW MENGESTU, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA), ÉDITIONS ALBIN MICHEL. ****

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