le rock a toujours adoré la course aux décibels. Quitte à y laisser parfois une partie de son ouïe. Vous dites?

No More Loud Music! Plus de musique bruyante! Ainsi chantait dEUS, en 96, dans son Theme From Turnpike. C’était évidemment une blague: le groupe anversois n’a pas dû souvent baisser le volume de ses concerts. A l’automne 2007, Tom Barman devra même annuler une série de prestations en tant que DJ. Une recommandation des médecins, inquiets pour l’intégrité de ses oreilles…

Il est loin d’être un cas isolé. Les troubles auditifs sont en effet légions parmi les musiciens, ingénieurs du son, et… amateurs de musique en général. Sex, drugs & rock’n’roll, qu’ils disaient. Et si possible, au volume maximum. Né avec les premiers amplis, le rock a toujours plus ou moins cherché la bagarre. Que cela soit par un riff de guitare vicieux, un déhanchement trop provocant, ou un niveau sonore élevé. Le quotidien anglais, The Guardian, rappelait récemment que dans les années 70, Ted Nugent, hard rockeur bien cintré, haranguait volontiers ses fans en leur disant que « si c’est trop fort, c’est que vous êtes trop vieux ». Les Who avaient été les premiers à pousser le volume à fond. Jusqu’à se proclamer le groupe « le plus bruyant du monde », fixant le 7e ciel à 126 dB. Depuis lors, l’ami Pete Townsend est devenu partiellement sourd et souffre d’acouphènes, ces sifflements permanents dans l’oreille. En 1989, le guitariste sera à la base du lancement de l’association HEAR, pour Hearing Education and Awareness for Rockers… Cela n’empêchera pas les métalleux de Manowar de repousser encore un peu plus loin les limites: jusqu’à 129,5 dB. Un record qui ne pourra jamais être dépassé, le Guiness Book ayant en effet décidé de retirer la catégorie, histoire de ne pas encourager d’autres excès. Une escalade d’autant plus destructrice que le décibel a son échelle bien à lui, logarithmique. Ainsi, une augmentation de 3 dB correspond à une multiplication par deux de la pression acoustique. Autrement dit, 120 décibels correspondent à une puissance 1000 fois plus importante que 90 décibels.

L’exemple suisse

En novembre dernier, à Anvers, le magasin de disques USA Import, spécialisé dans les musiques électroniques, organisait une rencontre avec une audiologue. Depuis trois ans, Karolien Mulders s’est en fait lancée dans ce qu’elle appelle le hearing coaching. Ses clients: principalement des chantiers ou des industries bruyantes, comme des usines d’embouteillage. « Mais de plus en plus de musiciens viennent également me consulter. » Wim Vandeweyer, par exemple, est DJ. Il a déjà joué dans des grosses boîtes comme la Rocca, mais aussi le plus souvent dans des fêtes étudiantes. Depuis plusieurs années, il souffre d’acouphènes. « Les trois, quatre premiers mois, cela a été l’enfer. Je n’arrivais plus à dormir tellement la gêne était importante. Je devais prendre des somnifères. Aujourd’hui j’ai appris à vivre avec. » Il est venu se faire faire des bouchons spéciaux. Une mousse introduite à la seringue prend la forme du conduit auditif et servira de moule. Plusieurs filtres sont proposés: il a opté pour une protection de – 15 dB. « C’est le choix que font la plupart », confirme Karolien Mulders. Il a un coût: autour des 175 euros. Non remboursés . « C’est paradoxal, analyse l’audiologue. On intervient dans le coût des appareils auditifs, mais pas dans les protections. En général, la prévention fait défaut. Les ouvriers sur chantier, par exemple, sont beaucoup mieux protégés légalement que des DJ ou même des serveurs qui travaillent des nuits entières dans le bruit. »

Ce n’est pas le cas partout. Depuis quelques années, la Suisse se veut à la pointe de la lutte contre les nuisances sonores. Elle a développé tout un arsenal législatif, dont une ordonnance de 2007, « contre les nuisances sonores et les rayons laser lors de manifestations ». La limite y est fixée à 93 dB – bien moins que les 105 dB prônés par la directive européenne. Elle est absolue pour les manifestations destinées « exclusivement aux moins de 16 ans ». Pour les autres cas, il est possible d’obtenir des dérogations pour monter jusqu’à 100 dB. Les conditions sont très strictes: informations à l’entrée, mise à disposition de protections gratuites, mise en place d’aire de récupération auditive couvrant « au moins 10 % des surfaces de la manifestation »

Cela n’est évidemment pas sans incidence sur un festival comme le Paléo, à Nyon, l’équivalent d’un Rock Werchter. « C’est sûr que pour un événement comme le nôtre, cela pose des problèmes », explique Christophe Platel, responsable presse du Paléo. Le festival a donc mis en place ses propres équipes qui tournent en permanence sur le site avec des sonomètres. Des « mouchards » sont également placés devant les scènes. Les rapports sont ensuite transmis à la police. Ce qui n’empêche évidemment pas les dépassements. Et donc les amendes, dont le montant varie. « C’est le préfet qui fixe le tarif: selon le volume de dépassement, la durée, le nombre de gens touchés… » En général, les groupes se plient cependant aux limites locales. « Il faut parfois négocier. Mais souvent, ce n’est pas la première fois qu’ils viennent et ils sont au courant. » D’autant plus que la technologie a largement amélioré les performances des systèmes d’amplification. « C’est clair qu’on perd un certain nombre de choses en diminuant le volume. Mais il y a 10 ans, cela aurait été plus gênant. Aujourd’hui, un dispositif comme le line array a résolu en partie le problème, avec un système de grappes de haut-parleurs suspendus, qui visent différentes parties du public avec un angle très fermé. Cela permet d’avoir un son uniforme sans exploser le volume. » l

Texte Laurent Hoebrechts

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