Le réalisateur John Patrick Shanley nous éclaire sur Doubt, un film qui ébranle les certitudes et appelle à une permanente remise en question.

« Chercher à connaître n’est souvent qu’apprendre à douter. » Dans Doubt, cinq fois nominé aux Oscars, S£ur James en fait la douloureuse et obsédante expérience. On est à la Saint Nicholas Catholic School. Dans le Bronx, à New York, au milieu des années 60. Et la jeune femme, incarnée par Amy Adams, se pose des tas de questions. Tant sur la foi et l’éducation que sur les relations entretenues par le (trop?) sympathique père Flynn (Philip Seymour Hoffman) avec un jeune et timide élève afro-américain.

Le Doute questionne l’éducation religieuse, le risque de la certitude, le danger de l’apparence et s’attaque, de biais, à un sujet pour le moins délicat: la pédophilie. Il est adapté d’une pièce de théâtre que le réalisateur et scénariste John Patrick Shanley avait lui-même écrite: Doubt: a parable. Pièce jouée pendant plus d’un an à Broadway et saluée d’un prix Pulitzer en 2005.

« L’époque à laquelle je l’ai écrite était celle des convictions inébranlables, se souvient Shanley. A la télévision, on nous affirmait qu’il fallait envahir l’Irak compte tenu de ses armes de destruction massive. J’ai dès ce moment réalisé que le doute, censé être une marque de sagesse, était perçu comme une faiblesse. »

Une drôle d’époque qui lui en rappelait une autre. Le début des années 60. Quand, inscrit dans une école catholique, avec les S£urs de la charité pour enseignantes, il croyait que le monde qui l’entourait était immuable. « Alors qu’en fait, les sixties s’apprêtaient à tout bouleverser. Quand des changements importants se produisent, il faut opérer des choix. Et il est important de s’arrêter pour discuter. On doit reconnaître ses torts. Demander l’avis d’autrui. Douter. Nous ne pouvons pas blâmer la personne de l’autre côté de la table pour les problèmes auxquels nous faisons face. Nous sommes nos pires ennemis. Nous sommes tous responsables. Le cynisme est fatigant. »

Si le doute n’habite à priori pas tous ses personnages, Shanley cherche et parvient à l’immiscer en nous à travers la progression de son intrigue. « Je commence avec quelques clichés entretenus sur les nonnes et j’essaie ensuite de montrer que les préjugés ne suffisent pas à comprendre ce que ces femmes disent, font et sont. Qu’il faut au contraire écouter, regarder, réexaminer. »

De la confiance à l’aveuglement

A travers son long métrage aux multi-ples niveaux de lecture, Shanley aborde l’épineuse question des abus sexuels sur enfants. « Chaque ère a ses tabous. Même en matière de crime. La pédo-philie fait partie des nôtres. D’ailleurs, les tueurs, en prison, se chargent des pédophiles. Parce que tuer c’est bien mieux que d’abuser des gosses », ironise-t-il. « On peut en discuter deux minutes? Il faut faire la part des choses. D’abord, tout enfant a un jour ressenti l’étrange énergie d’un adulte. Ça fait partie de la puberté. Quand on entre dans le monde de la sexualité, on en arrive à des incompréhensions, des ambiguïtés. C’est la nature. Les enfants sont beaux. Séduisants. Innocents. Ce que les gens recherchent sans la plupart du temps que ce soit déplacé ou dérangeant. »

Parfois cependant, l’attirance devient malsaine. Sexuelle. L’abus rôde. Certains condisciples du réalisateur en ont souffert. « Beaucoup de choses horribles ont été infligées aux enfants au sein de l’église catholique. Les parents faisaient confiance au système en place. Ils pouvaient visualiser tellement clairement ce qu’ils avaient en tête qu’ils en oubliaient l’évidence juste sous leurs yeux. Et c’est là toute la tragédie. D’autant qu’évêques et cardinaux ont protégé les coupables sans jamais être jugés. Or quand on protège une personne perturbée et auteur de tels actes dans son propre intérêt, on est un criminel. »

Shanley n’avait jusqu’ici réalisé qu’un seul film, Joe contre le volcan, sorti sur nos écrans il y a bientôt 19 ans. L’histoire d’un jeune hypocondriaque (Tom Hanks) qui n’ a plus que six mois à vivre et accepte la proposition d’un milliardaire excentrique. Se précipiter dans la gueule d’un volcan dont il calmerait ainsi la colère. Doubt se présente comme une £uvre bien plus profonde. Sans se vouloir moralisatrice.

 » Ça ne m’intéresse pas de savoir qui, dans mon film, a tort ou raison. Coupable. Innocent. Bien. Mal. Si ces quatre mots avaient été bannis du discours public depuis dix ans aux Etats-Unis, nous n’en serions peut-être pas là. Nous, les êtres humains, ne sommes pas binaires mais analogiques. La réponse à toute question ne peut se limiter à un oui ou à non. Tant de films reposent sur des questions simples. Qui est le meurtrier? Vont-ils survivre? Est-ce que le mec va se taper la fille? La vie réelle, celle à laquelle je goûte, est bien plus compliquée et ambiguë. »

Entretien Julien Broquet

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