Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Ascenseur pour la gloire – Membre involontaire du club des stars fauchées précocement, Otis Redding avait la stature de géant de la musique noire. Et l’a gardée.

Distribué par Universal.

Peter Gabriel raconte comment le concert d’Otis Redding, vu à Londres un soir de 1967, a changé à tout jamais sa vision de la musique. Comment la grâce d’Otis et son énergie ont garni sa vie d’un désir d’absolu. Quarante ans plus tard, que reste-t-il de cette époque et que signifie-t-elle au juste? Le nouveau live, enregistrements inédits de concerts donnés à Londres et Paris en mars 1967, est un moyen de répondre. Il faut d’abord parler du son. Il n’a pas le côté velours des disques studios de Redding qui ressemblent davantage à des concours de caresses, y compris dans les morceaux rapides. Ici, l’aspect sonique des chansons est rauque, juteux, gorgé d’un truc organique qui sort aussi tout droit de la voix extraordinairement puissante de Redding. Il n’a pourtant que vingt-cinq ans, d’une vie déjà énormément trimballée dans l’Amérique d’après-guerre, où la musique ne peut ignorer les enjeux d’une nouvelle société qui naîtra après la ségrégation.

Du James Brown supérieur

En scène, Redding semble venir accoucher directement de ces rêves-là ou d’autres, peu importe: c’est d’autant plus bouillant que son groupe accompagnateur – Booker T. & The MG’s et les cuivres des Mar-Keys – forme l’un des bands les plus phénoménaux de toute l’histoire de la pop-music. D’où le groove permanent, quel que soit le tempo. On comprend que Gabriel ait été bluffé. Question funk, Respect, Shake ou Fa-Fa-Fa-Fa-Fa (Sad Song) sont du niveau James Brown supérieur mais sans la théâtralité outrancière de Brown. Parce qu’Otis, malgré sa stature physique et artistique, agit aussi comme un roi dénudé, comptant juste sur les émotions brutes offertes au public: et celui-ci, franchement, ne semble pas en revenir. Il est extatique. En cela, le disque est très émouvant. Des deux concerts, celui de Paris est le mieux représenté. L’enchaînement d’ I’ve Been Loving You Too Long et de My Girl est sans appel: il faut entendre comment les gens rient alors que Redding arrête un break. C’est d’une volupté dramatique rarement entendue.

Pour ruiner un peu la foire aux superlatifs exposée ici, on dira simplement la fin de l’histoire: neuf mois après cette tournée européenne unique, Redding périra dans un accident d’avion crashé au plus profond d’un lac glacé du Wisconsin, moins d’un mois avant que son Sitting on the Dock of the Bay (non inclus ici) ne sorte et ne devienne un hit mondial. Chaque fois que vous verrez son nom à lui – Otis – dans un ascenseur, pensez que ce dernier va peut-être droit au ciel.

www.otisredding.com

Philippe Cornet

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