Après les tubes de son premier album, la lolita pop devrait remettre ça avec It’s Not Me, It’s You. Moins pétillant, mais calibré pour cartonner.

Lily Allen est-elle la parfaite nymphette pop de son époque? Ce n’est pas impossible. Rappel des faits. En 2006, elle débarquait avec un premier über-hit (Smile) et un album (Alright, Still) qui en contenait au moins trois, quatre autres (LDN, Alfie…). Léger, frais, sans être décérébré: le disque n’était pas loin de rassembler toutes les qualités (et défauts) qu’on attend d’un album de pop bubblegum. Avec son petit côté Betty Boop délurée, la demoiselle avait en outre l’avantage de proposer une alternative à la blonde r’n’b. Et du coup, de peut-être davantage ressembler à sa génération. Née en 1985, Lily Allen apparaît complètement décomplexée, parle « cash », boit volontiers, et communique avec ses fans via sa page My-Space. C’est d’ailleurs là que tout a commencé, accrochant le public via Internet avant de secouer les charts. Alerté du buzz, l' »Observer », le premier média à lui avoir consacré une couverture, raconte avoir téléphoné à l’époque à la maison de disques sans que quiconque n’ait pu le renseigner…

Pertes et profits

Trois ans plus tard, les choses ont bien changé. La bataille marketing autour de son deuxième album It’s Not Me, It’s You est lancée depuis longtemps, signe que la demoiselle est bien devenue une priorité. Pour sa maison de disques, comme pour les paparazzis britanniques d’ailleurs qui la suivent désormais dans chacun de ses (faux) pas, toujours à l’affût d’un écart de conduite ou d’une parole fracassante. Deux sports dans lesquels Lily Allen a pas mal donné, il faut bien l’avouer – sans que l’on sache toujours trancher, entre provoc’ calculée et spontanéité rafraîchissante. Quand on la rencontre, en fin de journée, Lily Allen est donc cloîtrée dans sa chambre d’hôtel, et vu son planning, n’a pas dû beaucoup en sortir. Elle est arrivée d’Amsterdam et repart le soir-même pour Berlin. Déchaussée, elle s’est assise en travers de sa chaise et feuillette négligemment le Focus que vous lui avez amené. Mauvais pour la concentration mais cela vaudra au moins cet accès de sincérité, quand elle tombe sur la critique de la réédition de The Reminder. « Quoi?! Feist a sorti une édition deluxe de son dernier disque! Je ne peux pas le croire. Je ne pensais pas que c’était le genre d’artiste à permettre des conneries pareilles. » Le tout suivi d’un de ses fameux éclats de rire, aussi bruyants que craquants.

Pour le reste, personne dans la pièce n’est dupe. Chacun est dans son rôle: vous-même dans celui du journaliste qui sait bien qu’il pose probablement les mêmes questions que le collègue précédent; elle dans celui de la vedette fatiguée, même pas ronchonne, juste lasse. Qu’a-t-elle par exemple perdu et gagné depuis le succès de Alright, Still? « J’ai gagné des fans. J’ai perdu ma vie privée. » D’accord, mais encore? Car concernant les affres de la célébrité, difficile de croire qu’elle n’était pas, sinon consentante, au moins « informée ». Pas tellement parce que ses parents, une productrice de cinéma et un acteur, travaillent dans le show-business, mais bien par ses déclarations tapageuses ou comportements rock’n’roll – elle expliquait encore récemment avoir vendu de la drogue pour le compte de son père, quand elle ne se retrouve pas bourrée aux côtés d’Elton John à une remise de prix… « Les gens disent que je devais être préparée à toute cette hystérie, ne serait-ce que parce que j’ai des parents connus. Le fait est qu’ils étaient surtout célèbres pendant les années 80. A l’époque, il y avait un seul magazine de ragots, et c’était Hello. Cela ne ressemblait pas à ce que c’est devenu aujourd’hui. L’industrie de la célébrité a tellement changé. Y compris dans le court laps de temps qui s’est écoulé depuis que je l’ai intégrée. Par ailleurs, cela aurait été prétentieux de ma part d’imaginer que j’allais pouvoir vendre 2,5 millions de disques. Et si je l’avais cru, j’aurais dû alors soutirer beaucoup plus d’argent à ma maison de disques. » (rires)

Reste alors la question de savoir si tout cela vaut vraiment la peine, si le prix n’est pas trop cher payé…  » Ça dépend. Maintenant? Oui. Hier? Non. Je me sentais vraiment crevée. J’avais dû me lever à 5 h pour prendre un avion et m’enfermer dans une chambre comme celle-ci à Amsterdam. La nuit d’avant, j’ai été souper chez des amis, et en sortant, les photographes m’attendaient pour me suivre jusque chez moi. J’étais sous pression. Aujourd’hui cela va mieux. »

La peur

La vanité de la célébrité, autant que la facilité actuelle à le devenir, c’est le sujet de son premier single, The Fear, son Material Girl à elle. Elle y chante notamment: « I’m a weapon of massive comsuption », « je suis une arme de consommation massive », pas dupe sur les gesticulations de sa firme de disques pour vendre du Lily Allen. « Je ne regarde pas tout ce qui a été fait autour de la sortie du disque, je me fous un peu de toute la pub, cela n’a rien à voir avec moi. Mais j’imagine que c’est ce qu’il faut faire pour gagner de l’argent. »

A partir de là, on pouvait toutefois craindre le syndrome typique des stars planétaires, qui n’ont plus d’autres discours que celui sur leur propre trajectoire et personnage médiatique. C’est un des paradoxes éternels du genre: la célébrité et la pop music sont autant des alliées que des ennemies l’une pour l’autre. Avec le succès, comment en effet encore évoquer (ou sublimer) la réalité quand on en est déconnecté? Lily Allen se redresse sur sa chaise. « Je porte un intérêt massif à ce qui se passe dans le monde, vous savez. Dès que je sortirai de cette pièce, j’irai checker BBC News. Certains trouvent que les sujets évoqués dans ce disque sont d’ailleurs souvent très sérieux. Mais tout ce que j’essaie de faire c’est de parler des choses qui me touchent, dans ma vie et dans celle des autres. Le fait est que ces questions se révèlent être des sujets lourds comme la politique, le racisme, les relations humaines tout simplement… Je ne peux plus chanter des rengaines du genre « je me balade dans la rue, etc »… »

On est plutôt enclin à la croire. Le disque commence ainsi par Everyone’s At It. Un titre que l’on traduira par « tout le monde en prend » ou « tout le monde carbure à ça ». Aux drogues en l’occurrence, consommées de « l’ado au ministre », que cela soit sous la forme de prozac, de cocaïne, voire de crack. Lily Allen n’en fait pas tant un manifeste pro-opiacés qu’une charge contre l’hypocrisie et l’aveuglement général.

Moins mis en avant que ses dérapages, la demoiselle a également écrit aux parlementaires britanniques pour qu’ils votent une série de lois en faveur de l’environnement, enregistrant elle-même dans un studio fonctionnant à l’énergie solaire. Ici encore, on pourra y voir autant de l’opportunisme qu’une réelle conviction écolo. Autre exemple: à l’été dernier, Lily Allen a obtenu un rendez-vous avec le maire de Londres Boris Johnson, à propos de la vague d’agressions à l’arme blanche parmi les adolescents. A cette occasion, Allen revêtait volontiers le costume de représentante de sa génération. Elle soupire: « J’imagine, oui. Je ne veux pas devenir une sorte de modèle. Mais cela ne m’ennuie pas qu’on me voit comme quelqu’un né en 85, parce que c’est ce que je suis. J’aurais préféré naître en 65, mais bon… «  A ce moment-là, son visage ne fait plus aucun effort pour masquer sa lassitude. « Désolé, je suis fatiguée… Je ne sais pas.. . Cette époque est juste dingue, très volatile, dirigée par la peur et l’argent. C’est un peu déprimant. » Comme on s’apprête à lever le camp, on cherche des raisons d’être malgré tout optimiste. « Non, cela ne va pas mieux, cela empire même. En espérant qu’Obama pourra un peu inverser le cours des choses… », glisse-t-elle sans vraiment avoir l’air d’y croire. Avant de conclure: « Le monde est ce qu’il est. Je ne peux pas le changer, je peux juste écrire dessus. »

Lily Allen, It’s Not Me, It’s You, EMI. En concert le 8/05, à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles.

Rencontre Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content