BOURLINGUEUR, DIGGER ET GUINDAILLEUR, RYLEY WALKER, PRODUIT PAR UN ANCIEN WILCO, TAILLE LE FOLK POUR MIEUX LE RÉINVENTER.

Bruxelles-Central. Un café un peu pourri comme il y en a dans toutes les gares. Avec deux heures de retard, après trois changements de programme et au moins quatre trains ratés (tout ça sans grève de la SNCB), Ryley Walker pose sa guitare et son baluchon pour causer de son nouvel album, le splendide Golden Sings That Have Been Sung. La veille, Ryley jouait en première partie de Destroyer au Reflektor. « Je n’ai pas réussi à trouver de taxi. Je me suis perdu. Je suis tellement désolé. » Comme tout le monde, Walker, rien d’un ranger, a les défauts de ses qualités. Le côté un peu foireux des mecs trop cool, les problèmes de ponctualité des bourlingueurs sauvages. L’été dernier, le songwriter américain a disparu de la circulation pendant deux jours, sans rien dire à personne, à la fin de sa tournée espagnole. « J’ai pris un bateau pour le Maroc. Je suis allé à Tanger. C’était incroyable, s’enthousiasme-t-il. Quelle architecture. J’ai fumé du hasch, je me suis promené. C’était pendant le ramadan. J’ai vraiment été dépaysé. J’aime me sentir comme un alien. J’ai joué dans la rue. Les gens avaient l’air d’aimer. Il y a de la super musique en Afrique du Nord. Des trucs complètement dingues à la Alan Lomax. »

Vrai curieux qui a failli y passer il y a quelques années quand il s’est fait renverser de retour de soirée par un chauffeur bourré (« l’enculé ne s’est même pas arrêté« ), Walker est un musicien ouvert d’esprit, un collectionneur de disques averti. « Je revends aussi mais j’en ai encore beaucoup dans la maison de mes parents à Rockford, Illinois, là où j’ai grandi. C’est mon hobby. J’adore dégotter ces albums obscurs sans domicile fixe qui ne demandent qu’à trouver un foyer. Un folk singer de Chicago, un groupe psychédélique italien des années 60… Ça me fait planer de découvrir et d’écouter des trucs pareils. C’est magique. Parfois, je lâche beaucoup de fric. Et je me dis: merde, pourquoi j’ai fait ça? Je n’ai même plus de quoi prendre un train. »

L’aveuglement passionné. Les défauts de ses qualités, on vous disait. « J’ai perdu la tête pour la musique. Je lui ai accordé la priorité sur toute autre chose dans ma vie. J’ai tout mis sur pause. Je n’ai pas d’appartement, pas de maison, pas d’argent. Rien de tout ça depuis cinq ans. J’en ai pour l’instant 26. Pour la musique, j’ai arrêté de bosser. J’ai fait le tour du monde plusieurs fois. J’ai été malade. J’ai raté des avions. J’ai traversé des villes et marché des kilomètres avec ma guitare sur le dos. »

Christmas album

Après Primrose Green, disque merveilleux de folk étiré et habité qui lui a ouvert les portes du succès, Walker a essayé de se rapprocher de sa propre voix. Il a écrit l’élaboré Golden Sings That Have Been Sung l’année passée, sur la route, en tournée. « On jouait sur scène avec nos nouvelles idées. C’était délicieux. Je ne sais pas si ces chansons sont autobiographiques mais elles ont une vérité en elles. Beaucoup d’appréciations et de doutes personnels se sont glissés dans ces morceaux. Parce que j’ai l’impression d’avoir été un idiot la majeure partie de ma vie. Dépression, excitation… L’année dernière a été très mouvementée. J’ai énormément voyagé. Rencontré un tas de monde. La drogue, l’alcool… Mon esprit est devenu fou. C’est de ça que parle une bonne partie de ce disque.« 

Golden Sings…, qui réveille encore quand même les fantômes d’un Tim Buckley et d’un Nick Drake, a été fabriqué l’hiver dernier, la semaine de Noël (« J’ai enregistré un autre disque le jour du réveillon de Nouvel An mais il ne sortira probablement jamais« ) avec Leroy Bach, multi-instrumentiste qui fut membre de Wilco pendant sa période Summerteeth/Yankee Hotel Foxtrot/A Ghost Is Born et qui a depuis garni les rangs de la scène free jazz de Chicago. « C’était intéressant de s’enfermer dans un studio en ce moment particulier où tout le monde fait la fête. Et surtout, c’était vraiment pas cher. Je pense être un trou du cul aux yeux de Dieu s’il y en a un. Ça me met mal à l’aise vis-à-vis de lui, même si, à mon avis, il n’existe pas. »

Bach, qui a tissé sa relation musicale avec Ryley en jouant pour des pizzas dans un resto de Chicago, a apporté au disque sa confiance, sa sagesse et son expertise. « C’est un super musicien. Un super compositeur. Et je me suis dit qu’il pourrait aider à la production. Je lui ai demandé un soir et je pensais qu’il avait oublié mais il est revenu vers moi deux mois plus tard. C’était le partenaire créatif parfait. Quand il disait qu’il aimait, je savais que c’était pour de vrai. »

Quand il ne parle pas des bootlegs de Canned Heat, de son intérêt pour Mark Eitzel (American Music Club) et de son amour immodéré pour Meditations de John Coltrane, Walker montre son attachement à Chicago. Il défend ses amis de la « windy city » (Bitchin Bajas, Circuit des Yeux) et parle de son cinéma: « Dans les années 40, pas mal de séries B y ont été tournées. Tu peux aller les voir à la bibliothèque. Ce sont souvent des drames un peu foireux avec des acteurs trouvés dans la rue. Une vraie petite industrie du film amateur. »

Et de conclure, non sans avoir mentionné Glengarry Glen Ross avec Al Pacino, les documentaires Hoop Dreams et Scrappers (dont son batteur Frank Rosaly a signé la BO): « Je ne voulais pas sortir un album de guitare. Je commençais à en être malade. Donc, c’est un disque de mots et d’arrangements. Le folk ne doit pas nécessairement être traditionnel. Il peut très bien se faire contemporain. D’ailleurs, le terme de folk est désuet je pense. Il appartient aux dinosaures. Le folk est la transmission d’histoires à travers la chanson mais cette forme artistique n’est plus. « Folk » est un mot à la mode. Comme « macchiato » au Starbucks. C’est une marque. Ça n’appartient plus au royaume de la musique. Je ne sais pas quand il est mort. Je ne sais même pas s’il a existé.« 

GOLDEN SINGS THAT HAVE BEEN SUNG, DISTRIBUÉ PAR DEAD OCEANS.

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EN CONCERT LE 10/11 À L’AB CLUB ET LE 11/11 AU CACTUS CLUB (BRUGES).

TEXTE Julien Broquet

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