Like a hobo

Dans un récit émouvant, Peter Kaldheim raconte son odyssée kerouacienne à travers les États-Unis, voici 30 ans. Un long chemin vers la rédemption?

Le 26 janvier 1987, Peter Kaldheim a touché le fond. Après des années à dealer dans les bars de Manhattan, en se servant largement au passage, l’oiseau de nuit de 37 ans n’a pas le choix: malgré une énorme tempête de neige, il doit fuir la ville par le premier Greyhound venu pour échapper à la fureur de Bobby La Batte, son fournisseur, à qui il doit un paquet de fric. L’issue pitoyable d’une lente entreprise d’auto-démolition pour l’ex-brillant étudiant de la prestigieuse université de Dartmouth, abonné aux mensonges et aux galères (séjour en prison, divorce…). Une jeunesse saccagée qui ressurgit par bribes dans des mémoires bouleversants rédigés plus de 30 ans après les faits, le temps nécessaire pour digérer ce douloureux passé.

En ce jour glacial de janvier 1987,  » ma vie n’avait plus rien de reluisant et relevait plutôt de la survie, confie avec la lucidité patinée de tendresse de celui qui regarde avec le recul le jeune homme irresponsable qu’il a été, et de cela je ne pouvais blâmer que moi-même et mes acolytes: l’alcool, la cocaïne, et une propension bien ancrée à ce que mon vieux prof de philosophie grecque appellerait l’acrasie. » Cette faiblesse de caractère qui vous pousse à agir contre votre intérêt, admirablement décrite par Bob Dylan dans le chanson Idiot Wind.

Like a hobo

Au bas de l’échelle

Fuyant Gomorrhe dans un dernier sursaut de clairvoyance, Peter Kaldheim se lance dans une longue traversée des États-Unis. Pour cet admirateur de Jack Kerouac, comme d’Exley, d’Orwell ou de Kesey, partir « sur la route » avec le pouce comme seul ticket de transport ressemble un peu à un pèlerinage. Il prendra d’ailleurs des notes pour ne rien oublier. Prémonitoire.

Jacksonville, La Nouvelle-Orléans, El Paso, Seattle… Les villes défilent, comme les bibliothèques publiques, havres de paix que ce vagabond cultivé fréquente assidûment entre deux soupes populaires et deux foyers pour sans-abri. Combinant auto-stop, bus -quand il est en fonds-, mais aussi trains de marchandises comme un vrai hobo, il avance cahin-caha dans cette Amérique cabossée, multipliant les rencontres poignantes, étudiants, hippies, vétérans, camionneurs, et accumulant de précieuses leçons de vie qui lui font entrevoir la lumière d’une possible rédemption. Même si cette lumière est parfois crue. Comme quand Gino, garagiste à la dignité bafouée, ne mâche pas ses mots pour lui faire comprendre qu’il n’est qu’un pauvre type.

Admirablement traduit et fourmillant de détails sur la vie des underdogs, entre séjours dans des hôtels miteux et dons de sang pour grappiller quelques dollars, Peter découvre avec humilité le sens de la fraternité qui lie les gens de la route, résumé par cette devise:  » On donne quand on peut, et on prend quand on peut pas. » Un road trip aux accents universels saupoudré d’une solide dose d’humour qui dissout instantanément tout sentimentalisme et tout auto-apitoiement. Même quand notre voyageur est contraint de faire les poubelles ou de passer une nuit dehors par grand froid, le ventre vide et avec pour seul édredon une bâche de chantier.

Au bout de 8 000 kilomètres, il atterrira dans le parc de Yellowstone, terminus de cette épopée et point de départ d’une nouvelle vie. Même si le « vent idiot » lui soufflera encore dans le cou de temps en temps, cette expérience lui aura permis de comprendre qu’il n’est jamais trop tard pour s’arracher aux ténèbres et se réinventer,  » dans la joie loqueteuse et extatique de l’être pur« , comme disait Sal Paradise, l’alter ego romanesque de Kerouac.

Idiot Wind

De Peter Kaldheim, éditions Delcourt, traduit de l’anglais (États-Unis)

par Séverine Weiss, 416 pages.

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