JERZY SKOLIMOWSKI FAIT DE VINCENT GALLO UN FUGITIF SURVIVANT À DES CONDITIONS EXTRÊMES DANS LE CAPTIVANT ET PERTURBANT ESSENTIAL KILLING.

On doute fort que Barack Obama, tout récemment de passage en Pologne, ait demandé à visiter la prison clandestine où la CIA, mandatée par son prédécesseur à la présidence, garda (garde encore?) au secret des détenus soupçonnés de terrorisme. S’il l’avait fait, il aurait pu, en chemin, prendre le thé chez Jerzy Skolimowski, cinéaste habitant non loin de là et que la présence de cette geôle secrète inspira pour son dernier film en date, Essential Killing… C’est en effet suite à une embardée de sa voiture sur une route traversant la forêt voisine de sa demeure, puis à quelques tonneaux dont il sortit indemne, que le réalisateur eut l’idée de départ de son script. Ayant entendu dire qu’une base militaire voisine était utilisée pour faire atterrir des avions de la CIA transportant des prisonniers venus d’Afghanistan, Skolimowski se dit qu’un camion les amenant sur leur lieu d’interrogatoire pouvait lui aussi déraper… et un détenu en profiter pour s’évader.

 » J’ai eu cette vision d’un fugitif courant entre les arbres, dans la neige, au milieu d’une nature hostile, avec à ses trousses des hommes et des chiens… « , se souvient le cinéaste, qui n’a pas voulu faire d’ Essential Killing un film politique…  » ni apolitique, d’ailleurs« .  » Ce qui m’intéressait, explique-t-il, c’est filmer l’instinct de survie à l’état pur, un être humain réduit à son animalité, forcé à tuer pour rester en vie. Car placé dans de telles conditions, le choix n’est plus possible…  » Skolimowski a voulu immerger le protagoniste du film dans un rapport intime avec la nature ( » la nature autour de lui, sa propre nature en lui« ), rendre palpable ce qu’il vit,  » sans projeter aucune grille idéologique et sans poser de jugement, avec une approche naturaliste plaçant la caméra, et nous avec elle, au c£ur même de l’environnement où se débat le personnage.  »

Au grand Gallo

Certes les flashbacks « afghans », mettant en scène la femme du personnage, et des éléments religieux, ont pour effet de créer une implication émotionnelle et ce qui pourrait passer pour une prise de parti. Mais le cinéaste récuse ce soupçon, même s’il reconnaît que  » montrer le combat d’un individu contre la première puissance militaire au monde, tout en sachant quel sort l’attend dans sa prison, ne peut qu’interpeller« . Pour incarner l’évadé, Jerzy Skolimowski a choisi un acteur des plus intenses, et des plus particuliers: Vincent Gallo. Réalisateur lui-même, notamment d’un Brown Bunny qui défia la chronique au Festival de Cannes (pour sa longue scène de fellation non simulée, prodiguée à Gallo par la douce Chloë Sevigny…), le natif de Buffalo est sans nul doute un des interprètes les plus allumés de sa génération. Son jeu halluciné donne une plus grande urgence encore au parcours du personnage. Les conditions de tournage pour le moins spéciales (évoluer pieds nus dans la neige, et par des températures largement négatives, par exemple) l’ayant aidé à mordre dans le rôle avec un engagement radical.

Gallo est crédible à mort (presque littéralement) dans un film qu’il porte sur ses épaules, étant de toutes les scènes. Celui que dirigèrent Scorsese ( Goodfellas), Ferrara ( Our Funeral) et Coppola ( Tetro) voit son « dévouement absolu » célébré par un réalisateur qui ne fait pas mystère d’avoir approché l’acteur  » pour sa capacité d’entrer en contact avec son animalité profonde et de la révéler sans fard devant la caméra« . Un choix audacieux, car l’ami Gallo, un tantinet… mégalo, n’est pas le comédien le plus facile à diriger qui soit. Mais l’ex-boxeur et « survivant » autoproclamé Skolimowski en a déjà vu d’autres! Son Essential Killing, Prix du Jury au Festival de Venise, ramène en pleine lumière le talent décomplexé d’un cinéaste ayant déjà prouvé dans les années 60 ( Signe particulier: néant, Walkover), 70 ( Deep End, The Shout) et 80 ( Moonlighting, The Lightship), qu’il est du nombre des créateurs les plus fascinants du 7e art. l

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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