PATRON DE LABEL FLAMBOYANT, JET-SETTER INFATIGABLE, EDDIE BARCLAY A MARQUÉ LA VARIÉTÉ FRANÇAISE DE SON EMPREINTE. AUTANT PAR SON FLAIR QUE PAR SES FÊTES EXTRAVAGANTES.

Avant le son, il y a l’image: la fine moustache à la Clark Gable, le costume impeccable, le cigare vissé aux lèvres. Eddie Barclay, le nabab de la variété française, homme aux huit mariages et aux 100 000 fêtes -toujours un verre de champagne à la main, jamais soûl. D’ordinaire, les patrons de label et autres directeurs artistiques restent cachés, tapis dans l’ombre de leurs artistes. Pas lui. Barclay était le seul « qui a su être aussi star que ses stars ». C’est Bruno Gigliotti qui le dit, alias Orlando, frère et producteur de Dalida. La chanteuse fut l’une des plus grandes trouvailles du mogul français. Même si, en définitive, la découverte la plus déterminante pour la carrière d’Eddie Barclay fut peut-être Barclay lui-même… Un look, un personnage. Qui se cachait vraiment derrière son air blasé de roi du pétrole? Difficile à dire. La couleur choisie a toujours été le blanc. Eclatant. Aveuglant même. Impossible de voir à travers.

Au départ, il y a Edouard Ruault, né en 1921, dans le XIIe arrondissement de Paris. Ses parents tiennent un café en face de la gare de Lyon. Il a un grand frère, de sept ans son aîné, plutôt doué pour les études. C’est loin d’être son cas. A quinze ans, il se retrouve donc à filer des coups de main dans la brasserie familiale. Il est fan de musique, passionné de jazz. Pendant l’Occupation, il organise des soirées clandestines, et perfectionne son jeu de piano, appris en complet autodidacte. Après la Libération, il monte son orchestre et lance son premier label, en compagnie de sa deuxième femme, Nicole (Vandenbussche). Baptisée Blue Star, l’enseigne lui permet de sortir ses propres albums, à côté de ceux de vedettes de jazz US. La légende veut qu’il stocke les disques dans la baignoire de son deux-pièces et parte distribuer lui-même les exemplaires, en vélo. Il fréquente Henri Salvador, Boris Vian, se lie d’amitié avec Quincy Jones: tous finiront par travailler pour lui. Il s’essaie aussi à la variété, avec Eddie Constantine, et fait un carton en sortant le Only You des Platters.

Le roi du microsillon

A l’époque, le grand découvreur de talents s’appelle cependant Jacques Canetti. Un juif émigré de Bulgarie, qui est aussi tombé dans la marmite jazz: dès les années 30, il organise à Paris les premiers concerts de Duke Ellington et Louis Arm-strong. Homme de radio, avant d’être engagé comme directeur artistique chez Polydor puis Philips, il pousse Piaf, puis lance Brassens, Brel… Aux Trois Baudets, la salle qu’il a ouverte au pied de la butte Montmartre, il fait jouer Gainsbourg, Juliette Gréco…

Longtemps, Canetti privilégie d’ailleurs la scène au studio. Il ne voit pas tout de suite arriver la prochaine révolution de la musique enregistrée. Eddie Barclay, si. Grâce à ses relations de l’autre côté de l’Atlantique, il découvre un nouveau support: le vinyle, dont la production est beaucoup plus simple que les anciens 78 tours. Dès 1952, il est le premier en France à embrayer. Et de se voir bientôt attribuer le titre de « roi du microsillon ». Deux ans plus tard, l’entrepreneur jeune et moderne regroupe ses différentes étiquettes sous une seule et même bannière. Le nom choisi a, forcément, une consonance américaine: Barclay.

Son premier gros carton est signé Dalida. Malin, Eddie a vu dans l’accent italien de la chanteuse une réponse potentiellement gagnante aux espagnolades de Gloria Lasso, qui triomphe à l’époque. Sorti en 1956, Bambino sera en effet un immense succès, lançant la carrière de la chanteuse au strabisme divergent. Petit à petit, la maison Barclay devient synonyme d’usine à tubes. Son patron lui-même prend un malin plaisir à jouer de son image, cliché du producteur à gros cigare, qui ne cache pas grand-chose de son ambition, et du cynisme qui l’accompagne souvent. Opportuniste, Barclay? Certainement, jamais le dernier à surfer sur la vague (comme il le fera avec les yéyés, loupant Johnny, mais cueillant Eddy Mitchell). Calculateur? Il est en tout cas parmi les premiers à penser la promo de ses disques, signant des accords avec des radios ou des salles de spectacle. Créer des liens, des réseaux, sur papier ou lors de ses innombrables sauteries tropéziennes, Barclay en a fait sa spécialité.

Tout cela n’exclut pas le flair, ni une capacité de travail phénoménale. « Je me suis promené pendant des années avec deux ou trois contrats dans mes poches, prêts à servir de jour comme de nuit, mais de préférence de nuit, tard, très tard dans la nuit« , expliquait-il au Monde. Des contrats rarement favorables aux artistes eux-mêmes. Et pourtant. Cela n’a pas empêché Barclay le flambeur, Monsieur variétés, d’accueillir Léo Ferré l’anar’ -« Barclay vend de la vinylite, mais au moins, c’est un type qui a un visage, qu’on peut engueuler. Ce n’est pas le conseil d’administration« . Ni de tisser des amitiés fidèles, dont une relation privilégiée avec cet autre écorché de Brel, avec qui il finira par signer un contrat à vie.

Barclay décédera en 2005, à l’âge de 84 ans. « Après la mort d’Eddie Barclay, il n’y a plus de show-business, seulement du business », en avait conclu Jean-Chrysostome Dolto, alias Carlos. Le label existe toujours, branche de la major Universal. Dès 1978 en fait, l’enseigne avait été partiellement revendue, en perte de vitesse. Durant les années 80, elle retrouvera cependant un nouvel éclat. Notamment sous l’impulsion de Philippe Constantin, autre personnage marquant. Appelé à rénover Barclay, Constantin y amènera Ba-shung, Noir Désir… Pour promouvoir la reprise de Douce France par Carte de séjour, le premier groupe de Rachid Taha, il enverra même un exemplaire du disque à chaque député. Le roi Eddie a dû apprécier.

CHAQUE SEMAINE, COUP DE PROJECTEUR SUR UN CHERCHEUR D’OR MUSICAL.

TEXTE Laurent Hoebrechts

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