Sur l’Amérique des pionniers, Paul Thomas Anderson signe une parabole d’une puissance rare, soutenu par un exceptionnel Daniel Day-Lewis. L’acteur habite son personnage. Nous l’avons rencontré.

L’horizon est saturé de chaleur, l’environnement grésille, et un homme vêtu de guenilles creuse inlassablement. L’entreprise est pénible. Elle lui rapporte laborieusement quelques pépites d’argent, arrachées dans la douleur. Cet homme, c’est Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis), un prospecteur guidé par une ferveur quasi fanatique – mutique, et surchargé de tension, le premier quart d’heure du film n’exprime pratiquement rien d’autre. There Will Be Blood, en effet.

Une bonne dizaine d’années ont passé, nous sommes en 1911, et Plainview, désormais père d’un garçon, H.W. (Dillon Freasier), a construit un début de fortune dans le pétrole. Averti par une âme charitable de la présence d’un véritable filon dans une petite bourgade de l’ouest battue par les vents, Plainview s’y rend avec la ferme intention de bâtir un empire. Le terrain acquis à vil prix auprès d’un fermier, le voilà qui se lance dans son grand £uvre, sous le regard bienveillant (et nullement désintéressé) du jeune pasteur local. La réussite est quasi immédiate, et d’une ampleur inespérée. Mais elle a également son prix, fort celui-ci, quoique inquantifiable: celui de valeurs humaines et de l’âme qui, insensiblement, désertent les lieux, livrés tout entiers à la cupidité.

Changement de cap pour Paul Thomas Anderson, qui avait jusqu’ici placé ses contemporains au c£ur de son £uvre, non sans recourir régulièrement à la polyphonie ( lire l’encadré). Adaptant fort librement le roman Oil! d’Upton Sinclair (réédité aux éditions Gutenberg), l’auteur-réalisateur s’attache ici à l’Amérique des pionniers et plus particulièrement à un homme seul au c£ur de la désola- tion – qu’il s’agisse de l’environnement physique dans lequel il évolue ou de la déliquescence morale à laquelle le conduit son âpreté.

AU COEUR DE LA DESOLATION

Le destin de Daniel Plainview est rien moins que saisissant, individu que sa réussite isole toujours plus, de son plein gré. Cela étant, rien chez lui ne semble pouvoir enrayer un dessein supérieur. On ne lui connaît nulle femme, et bientôt guère plus d’enfant. Et si un présumé proche se manifeste à un moment, c’est par un jour funeste, tant il est vrai que la retraite du monde est, chez ce prospecteur sociopathe, une aspiration sans doute aussi forte que celle à la fortune.

Soutenue par l’exceptionnelle composition de Daniel Day-Lewis, proprement habité, cette seule exploration de la misanthropie suffirait à faire de There Will Be Blood un film d’une rare densité. Anderson l’assortit d’une réflexion puissante sur les liens inextricables entre foi (ou ce qui en tient lieu) et industrie dans la construc- tion de l’Amérique. Alliance objec- tive, au nom d’intérêts « supérieurs » équitablement partagés, mais plus encore, collusion aux effets hautement destructeurs, ce que souligne le film dans un final démesuré autant qu’inconfortable.

Ce propos-là déborde largement, on s’en doute, le cadre historique de l’action pour toucher à la psyché américaine. Et confère au film un caractère brûlant. Incandescente, aussi, est la facture de l’£uvre – celle, encore, d’un western métaphysique aux contours spectraux et à la partition hallucinée, voué à son resserrement claustrophobe. îuvre majeure d’un grand cinéaste, voilà un film appelé à faire date.

TEXTE JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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