Figure historique du rap belge, Pablo Gonzales a sorti l’an dernier un nouvel album solo. Toujours aussi décalé et en espagnol dans le texte.

Le rap belge existe-t-il? Parfois, on a du mal à le croire. Ecrasé par le modèle américain, étouffé par la concurrence française, le hip hop made in Belgium a toujours éprouvé des difficultés à se faire une place. Y compris sur ses propres terres. Au fil du temps, quelques noms sont malgré tout sortis du lot. Celui de De Puta Madre est culte. En 1995, les Bruxellois furent les premiers à sortir un album en indépendant, Une ball dans la tête. Il n’est pas interdit de penser qu’ils auraient pu devenir NTM à la place d’NTM, s’il n’y avait eu cet univers si singulier: décalé, radical et barré. Trop sans doute.

Décembre 2008. Dans un café de Forest, on retrouve le noyau dur du groupe, Smimooz et Rayer, aux côtés de Sozyone, alias Pablo Gonzales. L’automne passé, Sozyone a sorti El Hijo De La Gran Puta. Un deuxième disque solo pour celui qui, depuis, s’est surtout fait un nom dans le milieu du street art: ses toiles sont exposées dans des galeries et musées un peu partout en Europe. « Disons que la peinture me permet d’avancer. Et la musique de ne pas reculer. Ils vont ensemble. Un beat, une image… Par exemple, pour une affiche, tu as un truc en tête qui va chercher du côté du constructivisme russe. Et bien, tu vas dans ta bibliothèque, tu chopes deux, trois bouquins sur Rodtchenko, tu le retravailles, tu le tritures, et ça devient ton truc. De son côté, en tant que DJ, Smimooz peut avoir envie de plancher sur quelque chose d’un peu funky, et va piocher du côte du Average White Band. C’est exactement la même chose. » Tout l’art du sampling…

Anars en vélo

Aujourd’hui, alors que l’on ne s’y attendait pas vraiment, voilà Pablo Gonzales qui reprend donc le micro. Pour El Hijo De La Gran Puta, celui dont les racines familiales se situent en Asturies rappe exclusivement en espagnol. C’était de toute façon déjà largement le cas avec De Puta Madre. Ce qui a d’ailleurs valu au groupe de percer en Espagne. Smimooz: « Sans le savoir, on était un groupe pionnier de la scène hip hop locale. On est vraiment rentré dans leur histoire. En concert, tu tombes sur des mecs qui portent des tatouages avec le logo de la Puta Madre. C’est vraiment intense. «  En fait, El Hijo De La Gran Puta a été lancé juste avant que Pee Gonzales ne parte définitivement s’ins-taller du côté de Valence, puis prochainement Madrid. Les raisons de ce retour aux sources? « Je suis un ‘out-sider’, j’ai besoin de travailler dehors. Or, ici, il suffit que tu prévois d’aller peindre un mur pour qu’il pleuve ou qu’il neige. Après 30 ans, ça fout le moral à zéro. En Espagne, par contre, y a du soleil, il fait bon. Les gens passent, les vieux s’arrêtent, regardent. C’est une autre ambiance. Bon, je ne m’attaque pas à la mairie non plus. Je prends des murs qui nécessitent, disons, un petit ‘rafraîchissement’. Si les flics passent? A partir du moment où tu n’es pas en train de te « fixer », ils ferment les yeux. Du coup, je n’arrête pas. Cela me permet par après, quand je fais des toiles, de monter de niveau. J’ai fait mon premier personnage blond cet été! Cela n’a l’air de rien, mais c’est un pas en avant énorme pour moi. J’aime bien les bad guys, qui ont toujours les cheveux noirs, je ne sais pas pourquoi. Là en blond, ça donne au personnage un côté allemand/russe qui me fait flipper. »

La toute première sortie de De Puta Madre était intitulée Zorolerenarr. Près de 15 ans plus tard, il est toujours question de héros des grands chemins, bandits rebelles et élégants. « J’essaie de mettre une image d’une sorte de voleur contestataire. Le côté bande à Bonnot, les anars en vélo. Pas le petit truand à deux balles, mais celui qui s’attaque aux grosses baraques, repère un Miro ou un portrait de Degas et va leur foutre deux moustaches pourries. Je crois qu’on est un peu comme ça, dans notre manière de voir les choses. Avec De Puta Madre, on a toujours été un peu anarchistes, mais sans être politiques. On est des anarchistes, disons, romantiques. C’est un peu la honte, mais c’est ce qu’on est. » (rires)

Pablo Gonzales continue donc à creuser un hip hop singulier, aussi impulsif et souple qu’un graf’. Pas forcément celui qui correspond le plus aux canons commerciaux actuels. Mais on devine que cela doit être la dernière des préoccupations du bonhomme. « Qu’on soit clair: moi, je suis en train de te parler d’un courant culturel artistique, le hip hop, qui est aussi profond que le cubisme. Donc je voudrais un peu de sérieux dans cette conversation, tu vois. Le problème, c’est qu’aujourd’hui tu trouves en effet une liste de ringtones baptisés ‘hip hop’, sélectionnés par Yahoo, ou je ne sais quoi. Mais donne-moi tous les noms: cela va de Rihanna à Nelly!… Tous ces mecs n’ont pas un iota de pensée hip hop. Ce sont des artistes qui font de la bonne pop. Mais ne dis pas qu’on fait la même chose. Tu te rends compte qu’aujourd’hui des mecs font du rap, ga-gnent des milliards, et ils n’ont pas dit une seule fois un truc normal, profond, sincère. Rien que de la connerie. Tu peux pas avoir un t-shirt Nelly! Même un type qui aime bien, cela reste toujours secret. »

Engagé ou enragé, peu importe: ce qui compte encore et toujours pour Sozyone et ses compères, c’est bien la passion, l’investissement mis dans le geste. « Le but, c’est de suivre celui qu’on était quand on avait 6 ans. A cet âge-là, tu construis ton univers avec trois fois rien. Tu peux délirer comme un dingue. Quand tu commences à trop réfléchir, que tu commences à te mettre des barrières en fait, tu laisses un peu derrière toi le mec hyper drôle que tu étais quand t’avais 6 ans. Je continue à jouer avec des petites voitures, je vais chez Toys’R Us acheter des Matchbox. L’autre jour, j’ai acheté le petit bonhomme Wall-E. J’arrive chez Smimooz: il avait acheté le même! Putain, et on a 35 piges! Bon, lui peut masquer parce qu’il a une fille. Mais moi, je n’ai pas d’enfant. Je suis carrément dans la merde! » (rires).

El Hijo De La Gran Puta, Sozyone, Bang!. www.myspace.com/sozyonegonzales

Rencontre Laurent Hoebrechts