Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Joyeux bordel – Réédition du tout premier album de la bande bruxelloise à Yvon Vromman, OVNI au délirant mix punk, free fanfare et cartoonesque. un grand moment de belgitude appliquée…

« Special Manubre »

Distribué par Crammed Discs.

Il est prudent de faire un test de pré-écoute avant l’achat. Par exemple sur Les petits oiseaux: 7 minutes 35 secondes bourrées de mauvaise intention. Cela commence par Vromman qui chante 3 fois  » Les petits oiseaux », avant que ne débarque une première bordée de free jazz tout en cuivres au bord de la crise de nerfs. Le chanteur repart sur sa volaille, tousse, éructe et, pardon pour la métaphore, chie littéralement son refrain Les petits… alors que l’accompagnement galope dans sa propre symphonie comateuse. Comme si Miles Davis faisait de la trompette à l’envers sur des accords qui repeignent le ciel en rouge Mao. Quelque part à l’arrière-plan sonore, un batteur (?) tape sur un objet non identifié, un piano part en fugue, et un bateau entre en gare. Bienvenue chez les Tueurs de la Lune de Miel. Qui reprennent aussi La Brabançonne en queue de nouilles – quelqu’un dit  » Quel £uf ce mec »… – et donnent une mémorable version de La mauvaise réputation de Brassens en slow collé-cuivré pour soirée finissante au commissariat de quartier. On vous laisse la surprise de la reprise d’ Oh Carol, sucrerie sixties de Neil Sedaka traitée comme un vulgaire bout de cholestérol .

Le plus souvent, ce disque d’une petite heure échappe à toute description pratique et brûle d’une joie contagieuse de faire de la musique. C’est à la fois éreintant, perdu d’avance, incongru, et aussi, quelque peu fascinant. La signature est d’époque, 1977: le groupe recrache le punk qui est dans l’air – cf. la stupéfiante version du Bébé éléphant d’Annegarn – mais possède déjà sa propre tuberculose en la personne d’Yvon Roger Joseph Raphaël Vromman. Chanteur, guitariste, nasophoniste, joueur de mirliton, auteur des immortels Goodbye Hawaii et autre Blankenberghe, showman exceptionnel (même quand il n’est pas saoul), le Vromman est une sorte d’Arno avant la lettre. En plus imprévisible, plus libertaire.

La route du succès

Une personnalité qui, lors de la sortie du second album des Tueurs, dans une autre formule, 5 ans plus tard, va connaître une forme de succès: le groupe fait la Une du New Musical Express et décroche un hit radio avec sa sautillante version du Nationale 7 de Charles Trénet. Puis Vromman meurt précocement, en 1989, dans des circonstances jamais véritablement élucidées. En attendant, ce premier disque des Tueurs est enregistré au studio de Dan Lacksman (futur Telex) pour l’épisodique label Kamikaze de Marc Moulin. Dans les notes de pochette, Moulin écrit: « Sauvez la civilisation! N’achetez pas le disque des Tueurs de la Lune de Miel. » Une autre forme de provocation, bien sûr. Parce que le disque, les Tueurs et Vromman, forment une aventure unique, et c’est peu de le dire, complètement originale dans le paysage déjà barré de la fin des années 70. Dans le dernier des 4 bonus tracks, faut entendre le Vromman chanter a capella un traditionnel genre Renaissance devant un public allemand hilare. Mais aussi bluffé par un tel culot, ce truc indomptable qui aurait dû mener la Bande à Yvon beaucoup plus loin…

www.crammed.be

Philippe Cornet

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